Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/371

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C’est ainsi qu’il abandonna ses quartiers, en s’écriant que ce n’était pas un fossé et des retranchements, mais des hommes et du fer qu’on lui avait donnés contre l’ennemi, et fit avancer ses légions comme pour combattre. Ensuite, ayant perdu un centurion et quelques soldats qu’il avait envoyés reconnaître les troupes barbares, il revint avec précipitation. Mais le peu d’ardeur que Vologèse avait mis à le poursuivre lui rendit sa folle confiance, et il plaça trois mille fantassins d’élite sur le sommet le plus voisin du mont Taurus, afin d empêcher le passage du roi. Des Pannoniens qui faisaient la force de sa cavalerie furent confinés dans une partie de la plaine ; enfin il cacha sa femme et son fils dans un château nommé Arsamosate3, sous la garde d’une cohorte. Il dispersait ainsi son armée, qui, réunie, eût mieux résisté à des bandes vagabondes. On ne le détermina, dit-on, qu’avec peine à faire à Corbulon l’aveu de sa détresse ; et celui-ci ne se pressait pas non plus de le secourir, afin que, le péril devenant plus grave, il y eût plus de gloire à l’en délivrer. Il ordonna cependant que mille hommes de chacune de ses trois légions, huit cents cavaliers, et un pareil nombre de soldats auxiliaires, se tinssent prêts à partir.

3. Place considérable, dont, selon d’Anville, on retrouve le nom sous la forme de Simsat ou Shimsliat. On croit que cette ville avait été fondée par Arsamés, qui régnait en Arménie vers 245 avant J. C.

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Vologèse, informé que les passages étaient gardés, ici par la cavalerie, là par l’infanterie de Pétus, n’en suivit pas moins son dessein ; et, joignant la force aux menaces, il effraya les hommes à cheval, écrasa les fantassins. Un seul centurion, Tarquitius Crescens, osa défendre une tour confiée à sa garde ; il fit plusieurs sorties, tailla en pièces ceux des barbares qui approchaient le plus prés, jusqu’à ce que des feux lancés du dehors l’enveloppassent de toutes parts. Ceux qui étaient sans blessures se sauvèrent loin des routes pratiquées ; les blessés regagnèrent le camp, faisant de la valeur du roi, du nombre et de la férocité de ces peuples, mille récits exagérés par la crainte et facilement accueillis par une crainte semblable. Le général lui-même ne luttait plus contre ce cours fâcheux d’événements. Il avait abandonné tous les soins de la guerre, et conjuré Corbulon, par un second message, "de venir au plus tôt, de sauver les étendards, les aigles, le nom presque anéanti d’une armée malheureuse. Eux, en attendant, feraient leur devoir jusqu’au dernier soupir."

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