Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/372

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Corbulon, sans s’effrayer, laisse une partie de ses troupes en Syrie pour garder les fortifications construites sur l’Euphrate ; et, prenant le chemin qui était le moins long et offrait le plus de ressources, il traverse la Commagène, puis la Cappadoce, et entre en Arménie. Il menait avec l’armée, outre l’attirail ordinaire de guerre, une grande quantité de chameaux chargés de blé, afin de repousser à la fois la famine et l’ennemi. Le premier des fuyards qu’il trouva sur la route fut le primipilaire Pactius, et après lui beaucoup de soldats. Aux prétextes dont ils s’efforçaient de couvrir leur fuite, il répondait en leur conseillant "de retourner aux drapeaux et d’essayer la clémence de Pétus ; que, pour sa part, il fallait vaincre, ou il était sans pitié." Ensuite il parcourt ses légions, les encourage, les fait souvenir de leurs premiers exploits, leur montre une gloire nouvelle. "Ce n’étaient plus des bourgades ou de petites villes d’Arménie, mais un camp romain, et, dans ce camp, deux légions assiégées, qui allaient être le prix de leurs travaux. Si chaque soldat recevait de la main du général une couronne particulière pour le citoyen qu’il aurait sauvé, combien serait glorieux le jour où il y aurait autant de couronnes civiques à distribuer qu’il y avait eu de citoyens en péril ! " Par ces paroles et d’autres semblables, animés pour la cause commune d’une ardeur que doublait chez quelques-uns le danger particulier d’un parent ou d’un frère, ils hâtaient jour et nuit leur marche non interrompue.

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Vologèse n’en pressait que plus vivement les assiégés, insultant tour à tour le camp des légions et le château où l’on gardait ceux que l’âge rend inhabiles à la guerre. Il s’approchait même plus qu’il n’est ordinaire aux Parthes, dans l’espoir que cette témérité attirerait ses ennemis au combat. Mais on avait peine à les arracher de leurs tentes, et ils se bornaient à la défense des retranchements, les uns pour obéir au général, les autres par lâcheté, alléguant qu’ils attendaient Corbulon, et prêts à faire valoir, si l’attaque devenait trop violente, les exemples de Numance et des fourches Caudines. "Et combien moins redoutables étaient les Samnites, peuple d’Italie, et les Carthaginois, quoique rivaux de notre empire ! Oui, cette glorieuse antiquité avait aussi, dans les périls extrêmes, mis le salut avant tout." Vaincu par le désespoir de son armée, le général écrivit à Vologèse une première lettre qui n’avait rien de suppliant. Il s’y plaignait au contraire que le roi nous fît la guerre pour l’Arménie, "de tout temps possédée par les Romains