Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
annales, livre i.

époux, il lui était permis de se marier à un autre ; et le luxe effréné de Q. Tedius et de Védius Pollio ; et Livie, fatale, comme mère, à la république, plus fatale, comme marâtre, à la maison des Césars; et les honneurs des dieux ravis par un homme qui avait voulu comme eux des temples, des images sacrées, des flamines, des prêtres. Même en appelant Tibère à lui succéder, il avait consulté ni son cœur ni le bien public ; mais il avait deviné cette âme hautaine et cruelle, et cherché de la gloire dans un odieux contraste. » En effet, peu d’années avant sa mort, Auguste, demandant une seconde fois pour Tibère la puissance tribunitienne, avait, dans un discours, d’ailleurs à sa louange, jeté sur son maintien, son extérieur et ses mœurs, quelques traits d’une censure déguisée en apologie.

XI. La solennité des funérailles terminée, on décerne au prince mort un temple et les honneurs divins; puis toutes les prières s’adressent à Tibère. Celui-ci répond par des discours vagues sur la grandeur de l’empire et sa propre insuffisance. Selon lui, « le génie d’Auguste pouvait seul embrasser toutes les parties d’un aussi vaste corps ; appelé par ce prince à partager le fardeau des affaires, lui-même avait appris par expérience combien il est difficile et hasardeux de le porter tout entier ; dans un empire qui comptait tant d’illustres appuis, il ne fallait pas que tout reposât sur une seule tête : la tâche de gouverner l’État serait plus facile, si plusieurs y travaillaient de concert. » Il y avait dans ce langage plus de dignité que de franchise. Tibère, lors même qu’il ne dissimulait pas, s’exprimait toujours, soit par caractère soit par habitude, en termes obscurs et ambigus; mais il cherchait ici à se rendre impénétrable, et des ténèbres plus épaisses que jamais enveloppaient sa pensée. Les sénateurs, qui n’avaient qu’une crainte, celle de paraître le deviner, se répandent en plaintes, en larmes, en vœux. Ils lèvent les mains vers les statues des dieux, vers l’image d’Auguste ; ils embrassent les genoux de Tibère. Alors il fait apporter un registre dont il ordonne la lecture ; c’était le tableau de la puissance publique : on y voyait combien de citoyens et d’alliés étaient en armes, le nombre des flottes, des royaumes, des provinces, l’état des tributs et des péages, l’aperçu des dépenses nécessaires et des gratifications. Auguste avait tout écrit de sa main, et il ajoutait le conseil de ne plus reculer les bornes de l’empire : on ignore si c’était prudence ou jalousie.