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annales, livre i.

XII. Le sénat s’abaissant alors aux plus humiliantes supplications, il échappa à Tibère de dire que, s’il ne peut supporter tout entier le poids du gouvernement, il se chargera cependant de la partie qu’on voudra lui confier. « Apprends-nous donc, César, fit alors Asinius Gallus, quelle partie de la chose publique tu veux qu’on te confie. » Déconcerté par cette question inattendue, Tibère garde un instant le silence. Puis, remis de son trouble, il répond « que sa délicatesse ne lui permet ni choix ni exclusion parmi les devoirs dont il désirerait être tout à fait dispensé. » Gallus avait démêlé par son visage les signes du dépit : il répliqua « qu’il n’avait pas fait cette question pour que César divisât ce qui était indivisible, mais pour qu’il fût convaincu, par son propre aveu, que la république, formant un seul corps, devait être régie par une seule âme. » Ensuite il fit l’éloge d’Auguste, et pria Tibère de se rappeler ses propres victoires et tant d’années d’une glorieuse expérience dans les fonctions de la paix. Toutefois il ne put adoucir sa colère : Tibère le haïssait de longue main, prévenu de l’idée que son mariage avec Vipsanie, fille d’Agrippa, que lui-même avait eue pour femme, cachait des projets au-dessus de la condition privée, et qu’il avait hérité tout l’orgueil de son père Asinius Pollio.

XIII. Bientôt L. Arruntius, par un discours à peu près semblable à celui de Gallus, s’attira la même disgrâce. Ce n’est pas que Tibère eût contre lui d’anciens ressentiments ; mais Arruntius, riche, homme d’action, doué de qualités éminentes, honorées de l’estime publique, excitait sa défiance. Auguste en effet, parlant dans ses derniers entretiens de ceux qu’il croyait dignes du rang suprême, mais peu jaloux d’y monter, ou ambitieux de l’obtenir sans en être dignes, ou enfin ambitieux et capables tout à la fois avait dit « que M. Lépidus serait digne de l’empire, mais le dédaignait ; que Gallus le désirait sans le mériter ; que L. Arruntius ne manquait point de capacité, et, dans l’occasion, ne manquerait pas d’audace. » On est d’accord sur les deux premiers ; quelques-uns nomment Cn. Piso au lieu d’Arruntius. Tous, excepté Lépidus, périrent depuis, victimes de différentes accusations que Tibère leur suscita. Q. Hatérius et Mamercus Scaurus blessèrent encore cet esprit soupçonneux ; le premier pour lui avoir dit : « Jusques à quand, César, laisseras-tu la république sans chef ? » l’autre pour avoir fait espérer « que César ne serait pas inexorable aux prières du sénat, puisqu’il n’avait point opposé sa puis-