Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/419

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cette tristesse que des périls de chaque jour avaient tournée en habitude, mais une terreur inconnue et que rendait plus profonde la vue des soldats et des glaives. La figure vénérable de Thraséas s’offrait en même temps à leur pensée. Quelques-uns plaignaient aussi Helvidius, qu’on allait punir d’une alliance qui n’avait rien de coupable. Et Agrippinus, quel était son crime, sinon la triste destinée d’un père innocent comme lui, et victime de Tibère ? Et Montanus, jeune homme vertueux dont les vers ne diffamaient personne, on l’exilait donc pour avoir montré du talent !

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Cependant Ostorius Sabinus, accusateur de Soranus, entre et parle à son tour. Il lui reproche "ses liaisons avec Plautus, et son proconsulat d’Asie, où, plus soigneux de lui-même et de sa popularité que de l’intérêt public, il a entretenu dans les villes l’esprit de sédition." Ces griefs étaient vieux : il en impute un plus récent à la fille de Soranus, qu’il associe au danger de son père "pour avoir prodigué de l’argent à des devins." Servilie (c’était son nom) avait eu en effet ce malheur, et la piété filiale en était cause. Sa tendresse pour son père, l’imprudence de son âge, l’avaient conduite chez les devins, uniquement toutefois pour savoir ce que sa maison devait espérer ; si Néron se laisserait fléchir ; si le sénat prononcerait un arrêt qui ne fût pas sinistre. Servilie fut appelée à l’instant ; et l’on vit debout, devant le tribunal des consuls, d’un côté un père chargé d’années ; en face de lui, sa fille à peine âgée de vingt ans, condamnée déjà, par l’exil récent d’Annius Pollio son mari, au veuvage et à la solitude, et n’osant pas même lever les yeux sur son père, dont elle semblait avoir aggravé les périls.

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Interrogée par l’accusateur si elle n’avait pas vendu ses présents de noces et le collier dont elle était parée, pour en employer l’argent à des sacrifices magiques, elle se jette par terre et ne répond d’abord que par un long silence et d’abondantes larmes. Ensuite, embrassant les autels : "Non, s’écria-t-elle, je n’ai point invoqué d’affreuses divinités ni formé de vœux impies ; tout ce que j’ai demandé par ces prières malheureuses, c’est d’obtenir de toi, César, et de vous, pères conscrits, le salut du meilleur des pères. Mes pierreries, mes robes, les décorations de mon rang, je les ai données comme j’aurais donné mon sang et ma vie s’ils l’eussent exigé. C’est à ces hommes, inconnus de moi jusqu’alors, à répondre du nom qu’ils portent et de l’art qu’ils exercent. Quant au prince, je