Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/435

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Ce n’était partout que piques entourées d’acheteurs14. Les encans ne laissaient pas de repos à la ville. Toutefois ce fut une grande joie de voir ceux que Néron avait enrichis, aussi pauvres que ceux qu’il avait dépouillés. Pendant ces mêmes jours on congédia plusieurs tribuns : deux parmi les prétoriens, Antonins Taurus et Antonins Naso ; un dans les cohortes urbaines, Émilius Pacensis ; un dans les gardes de nuit, Julius Fronto. Bien loin de ramener les autres, cet exemple éveilla leurs inquiétudes ; ils y virent une politique timide qui, les craignant tous, les chassait en détail.

13. De notre monnaie, 391 380 000 fr. (note établie en 1859)
14. Une pique dressée était le signal des ventes à l’encan.

Othon veut le pouvoir

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Othon cependant, sans espérance dans un état de choses régulier, tournait toutes ses pensées vers le désordre. Mille motifs l’excitaient à la fois : un luxe onéreux même pour un prince, une indigence à peine supportable pour un particulier, la colère contre Galba la jalousie contre Pison. Il se forgeait même des craintes, afin d’irriter ses désirs. "N’avait-il pas fait ombrage à Néron ? et fallait-il attendre qu’on le renvoyât en Lusitanie subir l’honneur d’un nouvel exil ? Toujours la défiance et la haine du maître poursuivaient le successeur que lui destinait la renommée. Cette idée l’avait perdu auprès du vieux prince ; que serait-ce avec un jeune homme d’un naturel farouche, aigri par un long bannissement ? La vie d’Othon n’était pas à l’abri du poignard ; il fallait donc agir, il fallait oser, pendant que Galba chancelait, avant que Pison fût affermi. Les époques de transition étaient favorables aux grandes entreprises. Pourquoi balancer alors que le repos est plus dangereux que la témérité ? La mort, tous la reçoivent égale aux yeux de la nature ; l’oubli ou la gloire, voilà l’unique différence. Et après tout, s’il lui fallait innocent ou coupable également périr, il y avait plus de courage à mériter son destin."

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Othon n’avait pas l’âme efféminée comme le corps. Les affranchis et les esclaves de son intime confiance, gâtés par un régime trop corrupteur pour une maison particulière, étalaient à ses regards la cour de Néron et ses délices, les adultères, les mariages, les autres fantaisies du pouvoir absolu. Toutes ces jouissances, si chères à ses désirs, étaient à lui, s’il osait ; à un autre, s’il préférait un indigne repos. Les astrologues le pressaient de leur côté : ils avaient vu dans le ciel des révolutions nouvelles, et ils annonçaient une année glorieuse pour Othon : espèce d’hommes qui trahit la puissance,