Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/457

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autour de son rival, se réfugia auprès de Vitellins. La province resta paisible, malgré l’éloignement du chef consulaire. Les lieutenants des légions gouvernaient avec des droits égaux et une puissance inégale : celle de Célius s’augmentait de son audace.

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Accru de l’armée de Bretagne, muni de forces redoutables et d’immenses ressources, Vitellius désigna deux chefs de guerre et deux routes à tenir. Valens eut ordre de gagner les Gaules au parti, ou, si elles résistaient, de les ravager, et de pénétrer en Italie par les Alpes Cottiennes30. Cécina, prenant le chemin le plus court, devait descendre par les Alpes Pennines31. L’élite de l’armée du Bas-Rhin, avec l’aigle de la cinquième légion et les auxiliaires tant à pied qu’à cheval, formèrent à Valens un corps de quarante mille hommes. Cécina en conduisit trente mille tirés de l’armée supérieure, et dont la force principale consistait dans la vingt-unième légion. A chacun de ces deux corps furent ajoutés des auxiliaires germains, dont Vitellius recruta aussi les troupes que lui-même allait mener à cette grande entreprise, voulant y peser de tout le poids de la guerre.

30. Les anciens désignaient sous le nom d’Alpes Cottiennes toute cette partie de la chaîne qui comprend le mont Viso, le mont Genèvre et le mont Cenis, et quelquefois l’une ou l’autre seulement de ces deux dernières montagnes.
31. Le grand Saint-Bernard.

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Il y avait entre l’armée et le général un merveilleux contraste. Le soldat impatient demande à combattre, tandis que la Gaule est en alarme, tandis que l’Espagne balance. Il veut : "Qu’on brave l’hiver, qu’on ne s’arrête point à de lâches négociations ; c’est l’Italie qu’il faut envahir, c’est Rome qu’il faut prendre ; rien dans les discordes civiles n’est plus sûr que la célérité : il y faut des actions bien plus que des conseils." Vitellius, dans un stupide engourdissement, préludait par l’affaissement de la mollesse et les excès de la table aux jouissances du rang suprême, ivre dès le milieu du jour et gorgé de nourriture. Et cependant l’ardeur et l’enthousiasme des soldats, suppléant à l’inaction du chef, animaient tout, comme si, présent lui-même, il eût excité les braves par l’espérance, les lâches par la crainte, Les apprêts terminés et chacun à son poste, on demande le signal du départ. Vitellius reçut dès cet instant le surnom de Germanicus ; quant au nom de César,