Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/469

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sous le toit du plus obscur de leurs clients une retraite inconnue.

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La violence des soldats ne respecta pas même les portes du palais ; ils se précipitèrent dans la salle du festin en demandant à grands cris qu’on leur fît voir Othon. Le tribun Julius Martialis et Vitellius Saturninus, préfet d’une légion, furent blessés en essayant de les arrêter. De toutes parts les armes étincellent, les menaces retentissent, tantôt contre les centurions et les tribuns, tantôt contre le sénat tout entier. Une peur aveugle égarait les esprits ; et, comme ils ne pouvaient dire quelle victime exigeait leur colère, ils demandaient pleine licence contre tout le monde. Il fallut que le prince, oubliant la majesté de son rang, montât sur un lit de table, d’où, à force de larmes et de prières, il parvint avec peine à les contenir. Ils retournèrent au camp malgré eux, et n’y retournèrent pas innocents. Le lendemain, Rome offrit l’aspect d’une ville prise : les maisons étaient fermées, les rues désertes, le peuple consterné ; et les regards des soldats baissés vers la terre annonçaient plus de mécontentement que de repentir. Les préfets Proculus et Plotius parlèrent aux différents manipules, chacun avec la douceur ou la sévérité de son caractère. La conclusion de ces discours fut de compter à chaque soldat cinq mille sesterces43. Othon osa pour lors se hasarder dans leur camp : à son entrée, les centurions et les tribuns l’environnent, jettent à ses pieds les marques de leur grade et implorent comme une faveur le repos et la vie. Les soldats sentirent le reproche, et, avec tous les dehors de la soumission, ils demandèrent les premiers qu’on livrât au supplice les auteurs du désordre.

43. Ou 889 fr. 50 c. de notre monnaie.

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Othon voyait la tranquillité détruite et les soldats partagés de sentiments : les uns demandaient un prompt remède à la licence ; le grand nombre, enclin aux séditions, aimait dans le pouvoir une ambitieuse faiblesse ; et rien n’était plus efficace que le trouble et le pillage pour entraîner cette multitude à la guerre civile. Un empire acquis par le crime ne pouvait d’ailleurs être maintenu par une réforme soudaine et un retour à l’antique sévérité. Toutefois, alarmé de la position critique de Rome et des périls du sénat, il tint enfin ce discours : "Je ne suis venu, braves compagnons, ni pour réchauffer dans vos cours l’amour de ma personne, ni pour