Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/472

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pour appeler Vitellius ennemi et parricide. Les plus prudents se bornaient à des invectives communes : quelques-uns hasardaient d’injurieuses vérités, mais parmi les clameurs de cent voix confuses, ou avec une volubilité bruyante qui couvrait leurs propres paroles.

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Des prodiges dont les récits venaient de sources diverses, redoublaient encore les alarmes. Dans le vestibule du Capitole, la Victoire laissa échapper, dit-on, les rênes de son char. Un fantôme d’une taille plus qu’humaine sortit tout à coup du sanctuaire de Junon44 ; la statue de Jules César placée dans l’île du Tibre se trouva tournée, par un temps calme et serein, d’occident en orient ; un bœuf parla dans l’Étrurie ; plusieurs animaux engendrèrent des monstres. J’omets beaucoup d’autres merveilles, observées en pleine paix dans les siècles grossiers, et dont on n’entend parler maintenant que dans les temps d’alarmes. Mais un phénomène plus terrible et qui, à la peur de l’avenir, ajoutait le mal présent, fut le subit débordement du Tibre. Le fleuve accru sans mesure rompit le pont Sublicius, et, arrêté par cette masse de débris, il franchit ses rives et inonda non seulement les parties basses de la ville, mais les quartiers où l’on redoutait le moins un pareil fléau. Beaucoup de malheureux furent surpris dans les rues et entraînés ; plus encore furent submergés dans leurs boutiques ou dans leurs lits. La famine se répandit parmi le peuple, causée par le défaut de commerce et la disette des vivres. Des maisons, dont le séjour des eaux avait ruiné les fondements, tombèrent quand le fleuve se retira. Dès que le péril eut cessé de préoccuper les esprits, on remarqua que, dans un moment où Othon se préparait à la guerre, le champ de Mars et la voie Flaminia, qui étaient son chemin pour entrer en campagne, lui avaient été fermés ; et cet effet d’une cause fortuite ou naturelle parut un prodige, avant-coureur des revers qui le menaçaient.

44. Le temple du Capitole était divisé en trois nefs, consacrées l’une à Jupiter, l’autre à Junon, la troisième à Minerve.

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Après avoir purifié la ville et délibéré sur la conduite de la guerre, Othon, voyant les Alpes Pennines et Cottiennes, et les autres passages d’Italie en Gaule, fermés par les troupes de Vitellius, résolut d’attaquer la province narbonnaise. Il avait une bonne flotte, et il s’était assuré de sa fidélité en tirant des prisons où la cruauté de Galba les avait retenus les