Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/490

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les soldats mirent aux fers le préfet de camp Julius Gratus, l’accusant d’intelligence avec son frère qui était au service d’Othon ; tandis que ce frère lui-même, Julius Fronto, tribun militaire, était arrêté sur les mêmes soupçons par les Othoniens. Au reste, dans ces bandes qui se croisaient pour fuir ou pour avancer, sur le champ de bataille, devant les retranchements, partout, l’épouvante fut si grande, au dire universel des deux partis, que Cécina pouvait être détruit avec toute son armée, si Suétonius n’eût pas sonné la retraite. Suétonius alléguait la fatigue et la marche qu’il eût fallu soutenir encore, et la crainte que le Vitellien, sortant frais et reposé de son camp, ne tombât sur une troupe harassée qui, en cas d’échec, n’avait aucun appui derrière elle. Approuvé du petit nombre, ce calcul du chef fut interprété en mal par la multitude.

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Ce mauvais succès ôta moins le courage aux Vitelliens qu’il ne leur inspira le respect du devoir ; et ce ne fut pas seulement dans le camp de Cécina (qui rejetait toute la faute sur une soldatesque plus disposée à se révolter qu’à se battre), ce fut encore dans l’armée de Valens, arrivée dès lors à Ticinum, que le soldat, cessant de mépriser l’ennemi et jaloux de recouvrer son honneur, obéit désormais au général avec une docilité plus égale et plus respectueuse. Une sédition violente avait précédemment éclaté parmi ces troupes : j’en reprendrai le récit d’un peu plus haut, n’ayant pas voulu interrompre l’ordre des opérations de Cécina. Les cohortes bataves, qui s’étaient séparées de la quatorzième légion pendant la guerre de Vindex, et qui, allant en Bretagne et apprenant en route le mouvement de Vitellius, s’étaient jointes à Valens dans le pays des Lingons, faisaient voir un insolent orgueil. Elles parcouraient les tentes du légionnaire, se vantant d’avoir contenu la quatorzième légion, d’avoir enlevé à Néron l’Italie, de tenir en leurs mains le sort de la guerre. Cette jactance était injurieuse aux soldats et offensait le général. Les disputes et les querelles rompirent les liens de la discipline, et Valens finit par craindre que l’insolence n’amenât après soi la trahison.

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Dans ces conjonctures, instruit que l’armée navale d’Othon avait repoussé les Trévires et les Tongres et menaçait la Gaule narbonnaise, il voulut tout à la fois et protéger les alliés, et diviser par une ruse militaire des cohortes turbulentes dont la réunion était trop redoutable. Il ordonne à une partie des Bataves d’aller au secours de la province. Au premier