Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/494

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les chances des combats, il se réserverait pour la direction suprême de la guerre et les soins de l’empire. Ce premier jour fut mortel à la cause d’Othon. Avec lui partit un corps considérable de prétoriens, de spéculateurs, de cavaliers, et ce qui resta perdit courage. Les chefs étaient suspects à l’armée ; et Othon, en qui seul les soldats avaient confiance, ne se fiant lui-même qu’aux soldats, avait laissé l’autorité des généraux incertaine et précaire.

10. Maintenant Bresello (ou Bersello), sur la rive droite du Pô, à 30 milles romains (un peu plus de 44 lieues de poste), au-dessous de Crémone.

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Aucun de ces détails n’échappait aux Vitelliens, grâce à la désertion si commune dans les guerres civiles : ajoutons que les espions, curieux des secrets du parti contraire, ne cachaient pas les leurs. Tranquilles et sur leurs gardes, Cécina et Valens, voyant l’ennemi courir aveuglément à sa ruine, prirent une résolution qui tient lieu de sagesse, celle d’attendre la folie d’autrui. Ils commencèrent un pont, comme pour aller au delà du Pô attaquer les gladiateurs campés vis à vis d’eux : ils voulaient empêcher aussi que le soldat ne s’engourdît dans le repos. Des barques placées à d’égales distances, liées ensemble par de fortes poutres et dirigées contre le courant, étaient retenues par des ancres qui assuraient la solidité de l’ouvrage. On avait laissé flottants les câbles de ces ancres, afin que, si les eaux croissaient, tout ce rang de bateaux pût sans être rompu s’élever avec le fleuve. Une tour construite sur la dernière barque fermait l’entrée du pont et contenait des machines et des balistes pour écarter l’ennemi.

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Les Othoniens avaient élevé sur la rive une autre tour, d’où ils lançaient des pierres et des torches. Au milieu du fleuve était une île que les gladiateurs voulaient gagner en bateau : les Germains les prévinrent à la nage. Comme ils se trouvaient en force, Macer remplit ses barques de ce qu’il avait de plus résolu et les fit attaquer. Mais les gladiateurs n’ont pas dans une action l’intrépidité du soldat ; et de leurs bateaux vacillants ils n’ajustaient pas comme l’ennemi de sa rive, où il avait le pied ferme. Dans les balancements causés par une foule en désordre qui se jetait sur un bord puis sur l’autre, rameurs et combattants se mêlent et s’embarrassent. Les Germains sautent dans l’eau, tirent les poupes en arrière, s’élancent sur les bancs ou s’accrochent aux bateaux et les submergent. Ce spectacle se donnait sous les yeux de l’un et de l’autre parti ; et plus il réjouissait les Vitelliens, plus les Othoniens chargeaient d’imprécations l’auteur de leur désastre.

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