Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/504

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son maître, répondit "qu’il était porteur de ses dernières instructions ; qu’il l’avait laissé vivant, mais occupé uniquement de la postérité, et détaché sans retour des illusions de la vie." L’admiration et la bienséance empêchèrent d’en demander davantage, et tous les esprits se tournèrent du côté de Vitellius.

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Son frère L. Vitellius assistait à ces délibérations, et déjà il s’offrait aux hommages de la flatterie, lorsque Cénus, affranchi de Néron, vint par un mensonge impudent jeter l’effroi dans les âmes. Selon lui, l’arrivée de la quatorzième légion et la jonction des troupes de Brixellum avaient écrasé les vainqueurs et changé la fortune. Il inventa cette fable parce qu’on lui refusait des chevaux au mépris d’une patente d’Othon14 ; il voulait à l’aide d’une bonne nouvelle faire respecter cette pièce. Cénus fut en effet porté rapidement à Rome, et peu de jours après un ordre de Vitellius l’envoya au supplice. Son imposture accrut le péril des sénateurs, parce que les soldats othoniens la prirent pour la vérité. Les alarmes étaient encore redoublées par le caractère public qu’avaient eu le départ de Modène et l’abandon du parti. Depuis ce moment on ne délibéra plus en commun : chacun pourvut à sa sûreté, jusqu’à ce que des lettres de Valens eussent fait cesser les craintes ; d’ailleurs la mort d’Othon était assez belle pour que le bruit s’en répandit promptement.

14. Les empereurs avaient établi sur toutes les routes des relais ou postes publiques, afin que les dépêches leur fussent apportées avec célérité. Les particuliers ne pouvaient se servir des chevaux qu’on y entretenait, sans un ordre du gouverneur de la province ou de l’empereur lui-même. Cet ordre ou patente s’appelait diploma.

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Rome ne se sentait point du désordre : on y célébrait suivant l’usage les jeux sacrés de Cérès. Dés qu’on eut annoncé au théâtre la nouvelle certaine qu’Othon avait quitté la vie, et qu’à la voix de Flavius Sabinus, préfet de Rome, tout ce qui se trouvait de soldats dans la ville venait de prêter serment à Vitellus, le nom de Vitellius fut couvert d’applaudissements. Le peuple promena par les temples, avec des lauriers et des fleurs, les images de Galba, et lui fit, d’un amas de couronnes, une espèce de tombeau prés du lac Curtius, au lieu même qu’avait ensanglanté le meurtre de ce prince. Dans le sénat, tous les honneurs inventés pendant les plus longs règnes furent décernés d’un seul coup. On ajouta des louanges