Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/510

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A Turin, un Batave en querelle avec un ouvrier le traitait de voleur ; un légionnaire le soutient comme son hôte : on s’attroupe des deux côtés, et des injures on en vient aux coups. Un combat sanglant allait s’allumer, si deux cohortes prétoriennes, embrassant la cause de la quatorzième légion, ne l’eussent remplie d’une assurance qu’elles ôtèrent aux Bataves. Vitellius joignit ceux-ci, comme une troupe sûre, à son corps d’armée. Pour la légion, il la fit conduire par les Alpes Graïennes18, avec ordre de prendre un détour qui l’éloignât de Vienne ; car on se défiait aussi des Viennois. La nuit où la légion quitta Turin, elle laissa de place en place des feux dont cette colonie fut en partie consumée : désastre que firent oublier, comme presque tous les maux de la guerre, les calamités plus grandes qui désolèrent d’autres villes. Après le passage des Alpes, les plus séditieux portaient les enseignes sur la route de Vienne. L’opposition des gens paisibles comprima cet esprit de révolte, et la légion fut transportée en Bretagne.

18. À présent le Petit-Saint-Bernard.

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Les prétoriens étaient la seconde terreur de Vitellius : séparés d’abord, ensuite licenciés avec l’adoucissement du congé honorable19, chacun remit ses armes aux tribuns. Les choses durèrent ainsi jusqu’à ce que le bruit de la guerre entreprise par Vespasien se fût accrédité. Alors les cohortes se reformèrent et devinrent le plus ferme appui du parti fiavien20. La première légion de marine fut envoyée en Espagne, afin qu’elle s’y adoucît dans la paix et le repos ; la onzième et la septième furent rendues à leurs quartiers d’hiver ; la treizième eut ordre de construire des amphithéâtres. Car Cécina préparait à Crémone, et Valens à Bologne, des spectacles de gladiateurs, Vitellius n’ayant jamais l’esprit si tendu aux affaires qu’il oubliât les plaisirs.

19. Juste-Lipse, de Milit. rom. V, XIX, compte quatre espèces de congés, honesta, causaria, gratiosa, ignominiosa. Le congé honorable se donnait à ceux qui avaient achevé avec honneur le temps de leur service. Le congé appelé missio causaria pouvait être en même temps honesta. Il s’obtenait pour cause de blessures, de maladie, ou toute autre qui rendait incapable de continuer le service. Missio gratiosa était le congé de faveur et de protection. La dernière espèce est assez désignée par l’épithète ignorniniosa.
20. C’est ainsi qu’un appela le parti de Vespasien, de son nom de famille qui était Flavius.

À Ticinum

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Il avait achevé sans secousse la dispersion du parti vaincu : une sédition éclata parmi les vainqueurs, pour une