Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/512

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pour grossir l’appareil de la guerre. Afin que le trésor épuisé pût encore suffire à des largesses, Vitellius dégarnit les cadres des légions et des corps auxiliaires en défendant le recrutement ; et en même temps on prodiguait les offres de congé. Ces mesures funestes à la république déplaisaient aux soldats, pour qui le même service réparti sur un moindre nombre ramenait plus souvent les périls et le travail. Leurs forces d’ailleurs s’énervaient dans le luxe, contre l’esprit de l’ancienne discipline et les maximes de nos ancêtres, sous lesquels le courage soutenait mieux que l’argent la puissance romaine.

21. La guerre de Civilis, dont il sera question aux livres IV et V.

À Crémone et à Bédriac

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Vitellius prit le chemin de Crémone, et, après avoir assisté aux jeux de Cécina, il sentit le désir de fouler les champs de Bédriac et de contempler de ses yeux les traces encore récentes de sa victoire. Hideux et horrible spectacle ! c’était le quarantième jour après la bataille : on ne voyait partout que des corps en lambeaux, des membres séparés de leurs troncs, des cadavres d’hommes et de chevaux tombant en pourriture, la terre humectée d’une corruption fangeuse, et, à la place des arbres renversés et des moissons détruites, une vaste et affreuse nudité. Plus loin s’offrait un tableau non moins barbare : c’était la partie de la route que les Crémonais avaient jonchée de lauriers et de roses, et couverte d’autels où ils immolaient des victimes comme pour le triomphe d’un roi ; adulation qui, après une courte joie, fut cause de leur ruine. Cécina et Valens étaient près de Vitellius et lui montraient en détail le théâtre du combat : "Les légions s’élancèrent d’ici ; de là chargèrent les cavaliers ; c’est de ce point que les auxiliaires se répandirent autour de l’ennemi." De leur côté, préfets et tribuns, exaltant à l’envi leurs actions, mêlaient dans leurs récits le vrai, le faux, l’exagéré. La foule même des soldats, avec des cris d’allégresse, s’écarte du chemin, reconnaît les places où l’on a combattu, reste en admiration devant les monceaux d’armes et les corps entassés ; il y en eut aussi que l’idée des vicissitudes humaines émut de pitié et toucha jusqu’aux larmes. Mais Vitellius ne détourna pas les yeux ; il vit sans frissonner tant de milliers de citoyens privés de sépulture. Joyeux au contraire et ignorant du sort qui le menaçait de si près, il offrait un sacrifice aux divinités du lieu.

À Bologne

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À Bologne, il vit le spectacle de gladiateurs donné par Valens, et dont tout l’appareil fut apporté de Rome. Plus il approchait, plus sa marche étalait de corruption : pêle-mêle