Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/514

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du penchant pour Titus ; le préfet d’Égypte, Alexander, était d’intelligence avec eux ; la troisième légion ayant servi en Syrie avant de passer en Mésie, il la comptait parmi les siennes, et l’on espérait que les autres légions de l’Illyricum se déclareraient après elle : car toutes les armées avaient frémi de colère en voyant l’arrogance des soldats venus d’auprès de Vitellius, et qui, avec leur aspect farouche et leur langage barbare, raillaient les autres comme des gens au-dessous deux. Mais une si grande guerre ne se remue pas sans qu’on y pense longtemps ; et si Vespasien sentait quelquefois l’enthousiasme de l’espérance, il lui arrivait aussi de songer aux revers. "Quel jour que celui où il livrerait au destin des batailles soixante années de vie et deux fils à la fleur de l’âge ! Dans les projets de la condition privée, le retour était possible, et l’on avait le choix de s’intéresser plus ou moins dans les jeux de la fortune ; pour qui voulait l’empire, pas de milieu entre le trône et le précipice."

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L’armée de Germanie lui apparaissait avec toute sa force, bien connue d’un si habile capitaine. "Ses légions n’avaient point fait leurs preuves dans la guerre civile ; celles de Vitellius venaient d’y triompher ; et chez les vaincus il y avait plus de mécontentement que de ressources. Dans les temps de discorde, il fallait peu compter sur la foi des armées, et tout craindre de chacun des soldats. Et que serviraient les escadrons et les cohortes, si un ou deux assassins allaient, sa tête à la main, demander le salaire toujours prêt dans l’autre camp ? C’était ainsi que Scribonianus avait péri sous Claude ; c’était ainsi que son meurtrier Volaginius était monté des derniers rangs de la milice aux grades les plus élevés. Il est plus facile de remuer une multitude d’hommes que d’en éviter un seul."

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Ses amis et ses lieutenants affermissaient contre ces frayeurs sa volonté chancelante ; enfin Mucien, après beaucoup d’entretiens secrets, lui parla ainsi devant tous les autres : "Celui qui met en délibération quelque haute entreprise doit examiner si elle est utile à l’État, glorieuse pour lui-même, d’une exécution facile ou du moins sans obstacles trop grands. Il faut considérer, de plus, si le conseiller qui en appuie le dessein est prêt à en partager les périls, et, en supposant la fortune prospère, de qui le succès doit fonder la grandeur. C’est moi, Vespasien, qui t’appelle au rang suprême, autant pour le salut de Rome que pour ta propre gloire : après les dieux, tu as l’empire dans tes mains. Et qu’un vain fantôme