Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/52

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les trouve hors du camp. Elles venaient à sa rencontre, les yeux baissés vers la terre, comme par repentir. Quand il fut entré dans l’enceinte, des murmures confus commencèrent à s’élever. Quelques soldats, prenant sa main sous prétexte de le baiser, glissèrent ses doigts dans leur bouche, afin qu’il touchât leurs gencives sans dents ; d’autres lui montraient leurs corps courbés par la vieillesse. Tout le monde était assemblé pêle-mêle : il leur ordonne de se ranger par manipules, afin de mieux entendre sa réponse ; de prendre leurs enseignes, afin qu’il pût au moins distinguer les cohortes. On obéit, mais lentement. Alors, commençant par rendre un pieux hommage à Auguste, il passe aux victoires et aux triomphes de Tibère, et célèbre avant tout ses glorieuses campagnes en Germanie, à la tête de ces mêmes légions. Il leur montre l’accord unanime de l’Italie, la fidélité des Gaules, enfin la paix et l’union régnant dans tout l’empire. Ces paroles furent écoutées en silence ou n’excitèrent que de légers murmures.

XXXV. Mais lorsque, arrivé à la sédition, il leur demanda ce qu’était devenue la subordination militaire, où était l’antique honneur de la discipline, ce qu’ils avaient fait des centurions, des tribuns, alors se dépouillant tous à la fois de leurs vêtements, ils lui demandent à leur tour s’il voit les cicatrices de leurs blessures, les traces de coups de verges. Bientôt des milliers de voix accusent en même temps le trafic des exemptions, l’insuffisance de la solde, la dureté des travaux, qu’ils énumèrent en détail : retranchements, fossés, transport de fourrage et de bois, enfin tout ce qu’on exige du soldat pour les besoins du service ou pour bannir l’oisiveté des camps. Les vétérans se distinguaient par la violence de leurs cris, nombrant les trente années et plus qu’ils portaient les armes, et implorant sa pitié pour des fatigues sans mesure. « Passeraient-ils donc immédiatement du travail à la mort ? Quand trouveraient-ils la fin d’une si laborieuse milice, et un repos qui ne fût pas la misère ? » Il y en eut aussi qui réclamèrent le legs d’Auguste, en ajoutant des vœux pour la grandeur de Germanicus, et l’offre de leurs bras s’il voulait l’empire. À ce mot, comme si un crime eût souillé son honneur, il s’élance de son tribunal et veut s’éloigner. Les soldats lui présentent la pointe de leurs armes et l’en menacent s’il ne remonte. Il s’écrie alors qu’il mourra plutôt que de trahir sa foi ; et, tirant son épée, il la levait déjà pour la plonger dans son sein, lorsque ceux qui l’entouraient lui sai-