Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/535

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Deux nouvelles légions arrivèrent ensuite : la troisième, commandée par Dillius Aponianus ; la huitième, par Numisius Lupus. Alors on crut bon de faire montre de ses forces et d’établir autour de Vérone une enceinte militaire. La légion Galbienne, travaillant à la partie du retranchement qui regardait l’ennemi, vit venir de loin des cavaliers alliés. Elle les prit pour des Vitelliens et fut saisie d’une terreur panique. On court aux armes, et la vengeance du soldat qui se croit trahi tombant sur Ampius Flavianus, irréprochable dans ses actions mais haï de longue main, une troupe furieuse l’enveloppe comme un tourbillon et demande sa mort. Mille cris l’accusent à la fois d’être parent de Vitellius, traître à Othon, et d’avoir détourné à son profit les largesses du prince. Et nul moyen pour lui de se justifier : en vain il levait des mains suppliantes, prosterné dans la poussière, déchirant ses vêtements, le visage en pleurs et la poitrine suffoquée de sanglots ; son désespoir même redoublait la colère des mutins, qui prenaient cet excès de frayeur pour le cri de la conscience. Des clameurs tumultueuses étouffent la voix d’Aponius, quand il essaye de parler ; on repousse les autres chefs par des frémissements et des murmures. Les oreilles des soldats n’étaient ouvertes que pour Antonius ; il avait de l’éloquence, un art merveilleux pour adoucir la multitude, et beaucoup d’empire sur les esprits. Quand il vit la sédition s’échauffer de plus en plus, et en venir des reproches et des invectives aux voies de fait et aux armes, il ordonna que Flavianus fût chargé de fers. Le soldat comprit la ruse. Les gardes qui défendaient le tribunal sont dispersés, et on allait se porter aux dernières violences : Antonius présente son sein à ces furieux, tenant son épée nue et protestant qu’il périra de leurs mains ou des siennes. A mesure qu’il aperçoit un soldat connu de lui ou revêtu de quelques décorations militaires, il l’appelle par son nom et réclame son secours. Enfin, se tournant vers les enseignes et les dieux des légions, il les conjure d’envoyer plutôt aux ennemis cet esprit de discorde et de fureur. Cependant la sédition se ralentit peu à peu, et à la fin du jour chacun se retire dans sa tente. Flavianus partit la nuit même et reçut en chemin une lettre de Vespasien qui lui rendit la sécurité.

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Les légions semblaient possédées d’une rage contagieuse. Aponius Saturninus, commandant de l’armée de Mésie, est attaqué à son tour, avec d’autant plus de violence que les soldats n’étaient pas, comme la première fois, épuisés par la fatigue