Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/551

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L. Vitellius. Celui-ci, bassement jaloux de Blésus, parce qu’il sentait combien son nom, souillé de tous les opprobres, était au-dessous d’une renommée si pure, ouvre l’appartement de l’empereur, prend son fils dans ses bras, et tombe à ses genoux. Interrogé sur la cause de son trouble, il s’écrie "qu’il ne vient point amené par une crainte personnelle ni inquiet sur lui-même ; c’est pour son frère, c’est pour les enfants de ce frère, qu’il apporte des prières et des larmes. Ah ! c’est à tort que l’on redoute Vespasien, à qui tant de légions germaniques, tant de provinces fidèles et courageuses, de si vastes espaces de terre et de mer, opposent une barrière. Ils ont dans Rome, ils nourrissent dans leur sein l’ennemi vraiment à craindre, un homme tout vain des Junius et des Antoines ses aïeux, et qu’on voit, affable et magnifique à la fois, étaler devant les soldats son origine impériale. Tous les esprits sont tournés de ce côté, tandis que Vitellius, ne distinguant ni amis ni ennemis, caresse un rival qui, de la table d’un joyeux festin, contemple les souffrances du prince. Il faut lui rendre, pour cette joie à contre-temps, une nuit morne et funèbre, ou il apprenne, où il sente que Vitellius est vivant, qu’il est empereur, et qu’à tout événement l’empereur a un fils."

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Vitellius, hors de lui, flottait entre le crime et la peur. Craignant de hâter sa perte s’il différait la mort de Blésus, de révolter les esprits s’il l’ordonnait publiquement, il eut recours au poison. Lui-même se dénonça par la joie qu’il laissa éclater dans une visite à Blésus. On entendit même de sa bouche une parole atroce : il se vanta (je rapporterai ses propres expressions) d’avoir repu ses yeux en regardant mourir un ennemi. Blésus, à l’éclat d’une naissance illustre et à l’élégance des mœurs, joignait une fidélité à toute épreuve. Avant la guerre, Cécina et les plus considérables du parti, déjà fatigués de Vitellius, essayèrent son ambition ; il résista constamment. Irréprochable dans sa vie, ennemi du trouble, désirant peu les grandeurs soudaines et l’empire encore moins, il n’avait échappé qu’avec peine à l’honneur d’en être cru digne.

Valens quitte Rome

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Cependant Valens, suivi d’un cortège nombreux et efféminé de concubines et d’eunuques, s’avançait lentement pour un chef allant à la guerre, lorsqu’il apprit par de rapides messagers que Bassus avait livré la flotte à l’ennemi. En faisant diligence, il pouvait prévenir Cécina qui balançait encore,