Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/559

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qu’il voulût rabaisser la gloire de ceux qui pendant ce temps avaient mis l’ordre en Asie ; la paix de la Mésie avait occupé leurs pensées ; les siennes avaient eu pour objet le salut et la sécurité de l’Italie ; enfin c’étaient ses exhortations qui avaient gagné à Vespasien la plus puissante partie de l’univers, les Gaules et l’Espagne : inutiles travaux, si le prix des dangers appartenait à ceux qui n’avaient eu aucune part aux dangers." Ces traits n’échappèrent pas à Mucien. De là des haines amères, plus franches dans Antonius, mieux déguisées chez Mucien, et par là même plus implacables.

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Cependant Vitellius, dont la défaite de Crémone avait ruiné les affaires, cachait soigneusement ce désastre : stupide dissimulation qui différait le remède sans ajourner le mal. S’il eût avoué et pris conseil, il lui restait de l’espoir et des ressources ; en feignant que tout allait bien, il aggravait le péril par le mensonge. Un étrange silence régnait autour de lui sur la guerre ; il était défendu d’en parler dans la ville, et par cela même on en parlait davantage. Libre, on eût simplement raconté les faits ; ne l’étant pas, on les grossissait de sinistres détails ; et les chefs ennemis aidaient encore aux exagérations de la renommée : prenaient-ils un espion de Vitellius, ils le promenaient dans le camp pour qu’il vît la force de l’armée victorieuse, puis ils le renvoyaient. Vitellius interrogea secrètement tous ces malheureux et les mit à mort. On remarqua le dévouement courageux du centurion Julius Agrestis. Après plusieurs entretiens, où il avait tenté vainement d’inspirer à Vitellius une généreuse ardeur, il obtint d’être envoyé lui-même pour reconnaître les forces de l’ennemi et ce qui s’était passé à Crémone. Il n’essaya pas de tromper Antonius par un espionnage clandestin. Il expose franchement ses ordres, son dessein, et demande à tout voir. On lui fit montrer le lieu du combat, les restes de Crémone et les légions prisonnières. Agrestis retourna auprès de Vitellius ; et comme celui-ci niait la vérité de son rapport et l’accusait d’être gagné : "Eh bien, lui dit-il, puisqu’il te faut une grande preuve et que je ne puis plus te servir autrement ni par ma vie ni par ma mort, je vais t’en donner une à laquelle tu croiras." Et le quittant à ces mots, il confirma ses paroles par un trépas volontaire. Quelques-uns disent qu’il fut tué par ordre de Vitellius : sur sa fidélité et son courage tous les récits sont d’accord.

Tergiversations de Vitellius

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Vitellius, réveillé comme d’un profond sommeil, envoie Julius Priscus et Alphénus Varus occuper l’Apennin avec