Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

quatorze cohortes prétoriennes et toute la cavalerie. Une légion de soldats de marine marchait à la suite. Tant de milliers de gens armés, où tout était choisi, hommes et chevaux eussent suffi, sous un autre chef, même pour attaquer. Il chargea son frète Lucius de garder la ville avec le reste des cohortes. Quant à lui, sans rien diminuer de ses débauches habituelles, et pressé faute d’avenir, il tient à la hâte des comices où il désigne les consuls pour beaucoup d’années ; prodigue aux alliés le droit fédéral, aux étrangers celui du Latium ; remet aux uns les tributs, accorde aux autres des immunités ; enfin met l’empire en lambeaux, sans aucun souci du temps qui doit suivre. La foule se pressait à cette abondante distribution de grâces ; les moins sensés les achetaient à prix d’argent ; les sages regardaient comme chimériques des faveurs qui ne pouvaient être ni données ni reçues sans que l’État pérît. Enfin, cédant aux instances de l’armée, qui avait pris position à Mévania25, il part avec une multitude de sénateurs, entraînés après lui, un grand nombre par le désir de plaire, un plus grand par la peur, et il arrive au camp l’esprit irrésolu et ouvert à tous les conseils de la perfidie.

25. L’ancienne Mévania, dans l’’Ombrie, est aujourd’hui Bévagna bourg des États de l’Église, dans le duché de Spolelte. Cette ville était sur la voie Flaminienne.

56

Pendant qu’il haranguait (prodige incroyable), tant d’oiseaux funèbres voltigèrent sur sa tête, que leur nuée épaisse obscurcit le jour. A ce présage menaçant vint s’en joindre un autre : un taureau s’enfuit de l’autel en renversant l’appareil du sacrifice, et fut égorgé loin du lieu où l’on frappe les victimes. Mais le premier des phénomènes sinistres, c’était Vitellius lui-même, sans connaissance de la guerre, incapable de prévoyance, ne sachant ni régler une marche, ni comment ou s’éclaire, m dans quelle mesure il convient de se hâter ou de temporiser, réduit à questionner sans cesse, et, à chaque nouvelle, pâlissant perdant contenance, puis s’enivrant. Enfin, ennuyé du camp et averti que la flotte de Misène abandonnait sa cause, il retourna à Rome, de toutes ses blessures ne sentant que la plus récente, sans songer à celle qui serait la dernière. Franchir l’Apennin et attaquer avec des troupes fraîches et vigoureuses un ennemi fatigué par l’hiver et la disette, était simple et facile ; en dispersant ses forces, il livra au carnage ou à la captivité des soldats intrépides et obstinés à