Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/567

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maison : elle n’avait gagné à l’élévation de son fils que des chagrins et l’estime publique. Le quinze avant les kalendes de janvier, à la nouvelle que la légion et les cohortes de Narni venaient d’abandonner ses drapeaux, Vitellius sortit du palais, couvert d’habits de deuil et environné de ses domestiques en larmes. Porté dans une petite litière, son jeune enfant venait ensuite comme à une pompe funèbre. Les acclamations du peuple furent flatteuses et en contraste avec le temps ; le soldat gardait un farouche silence.

Vitellius démissionne

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Il n’y avait pas de cœur assez oublieux des vicissitudes humaines pour n’être pas ému de compassion en voyant un empereur romain, naguère maître du monde, quitter le séjour de sa grandeur, et, à travers le peuple, à travers la ville consternée, descendre de l’empire. On n’avait jamais vu, jamais ouï rien de pareil : une soudaine violence avait accablé le dictateur César ; un complot obscur l’empereur Caïus ; la nuit et une campagne inconnue avaient caché la fuite de Néron ; Pison et Galba tombèrent comme sur un champ de bataille. Mais ce fut dans une assemblée convoquée par lui-même, au milieu de ses soldats, ayant jusqu’à des femmes pour témoins, que Vitellius déclara brièvement, et en termes conformes à sa triste fortune, "qu’il se retirait par amour de la paix et de la république," demandant pour toute grâce "qu’on gardât quelque souvenir de lui, et qu’on prît en pitié son frère, sa femme et l’âge innocent de ses enfants." En même temps il élevait son fils dans ses bras, et le recommandait tour à tour à chacun séparément et à tous ensemble. Enfin, les pleurs étouffant sa voix, il se tourna vers le consul Cécilius Simplex, debout à ses côtés, et, détachant son poignard de sa ceinture, comme pour se dessaisir du droit de vie et de mort sur les citoyens, il voulut le lui remettre ; sur le refus du consul, et l’assemblée se récriant tout entière, il s’achemine vers le temple de la Concorde pour y déposer les marques du pouvoir impérial puis se retirer chez son frère. Alors, avec des cris plus violents, on s’oppose à ce qu’il aille dans une maison privée ; c’est au palais qu’on l’appelle. Les chemins étaient fermés de toutes parts et il ne restait de passage ouvert que pour aller à la voie Sacrée31 ; Vitellius, ne sachant que résoudre, retourna au palais.

31. La voie Sacrée conduisait du Forum au mont Palatin, où était situé le palais impérial.

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