Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/57

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XLIII. « Pourquoi, le premier jour où j’élevai la voix, m’arrachiez-vous le fer que j’allais me plonger dans le cœur, trop aveugles amis ? Il me rendait un bien plus généreux office, celui qui m’offrait son glaive : j’aurais péri du moins avant d’avoir vu la honte de mon armée. Vous auriez choisi un autre chef, qui sans doute eût laissé ma mort impunie, mais qui eût vengé le massacre de Varus et des trois légions. Car nous préservent les dieux de voir passer aux Belges, malgré l’empressement de leur zèle, l’éclatant honneur d’avoir soutenu la puissance romaine et abaissé l’orgueil de la Germanie ! Âme du divin Auguste, reçue au séjour des Immortels, image de mon père Drusus[1], mémoire sacrée d’un grand homme, venez, avec ces mêmes soldats, sur qui la gloire et la vertu reprennent leurs droits, venez effacer une tache humiliante, et tournez à la ruine de l’ennemi ces fureurs domestiques. Et vous, dont je vois les visages, dont je vois les cœurs heureusement changés, si vous rendez au sénat ses députés, à l’empereur votre obéissance, à moi ma femme et mon fils, rompez avec la sédition, séparez de vous les artisans de trouble. Ce sera la marque d’un repentir durable, et le gage de votre fidélité. »

XLIV. Touchés par ce discours, ils lui demandent grâce, et, reconnaissant la vérité de ses reproches, ils le conjurent de punir le crime, de pardonner à l’erreur, et de les mener à l’ennemi:« Que César rappelle son épouse ; que le nourrisson des légions revienne, et ne soit pas livré en otage aux Gaulois. » Germanicus répondit que l’hiver et une grossesse trop avancée s’opposaient au retour d’Agrippine ; que son fils reviendrait; que c’était aux soldats de faire le reste. À ces mots, devenus d’autres hommes, ils courent arrêter les plus séditieux, et les traînent enchaînés devant C. Cétronius, lieutenant de la première légion, qui en fit justice de cette manière. Les légions se tenaient, l’épée nue, autour du tribunal. On y plaçait le prévenu, et un tribun le montrait à l’assemblée. Si le cri général le déclarait coupable, il était jeté en bas et mis à mort. Le soldat versait ce sang avec plaisir, croyant par là s’absoudre lui-même. Germanicus laissait faire : comme il n’avait donné aucun ordre, l’excès de ces cruautés retombait sur leurs auteurs. Les vétérans suivirent cet exemple, et furent bientôt envoyés en Rhétie, sous prétexte de défendre cette

  1. L’image de Drusus était parmi les étendards.