Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/578

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans tant de combats ! La ville était rendue au sénat et au peuple, les temples aux dieux immortels ; quant au soldat, l’honneur était pour lui dans son camp : c’était là sa patrie, ses pénates ; s’ils n’étaient aussitôt reconquis, il fallait passer la nuit sous les armes." Les Vitelliens, malgré leur nombre inégal et leur destin moins fort, embrassaient la dernière consolation des vaincus, celle d’inquiéter la victoire, de retarder la paix, de souiller de sang les autels et les maisons du camp. Beaucoup, blessés à mort, expirèrent sur les tours et les remparts. Quand les portes furent brisées, le reste se serra en peloton et fit face au vainqueur ; il n’y en eut pas un qui ne tombât en frappant lui-même ; et le visage tourné vers l’ennemi : tant, jusqu’au moment suprême, ils songeaient à honorer leur trépas !

43. Il s’agit du camp des prétoriens, où les soldats de Vitellius, chassés de la ville, s’étaient retirés comme dans un dernier asile.

85

Rome prise, Vitellius sortit du palais par une porte dérobée, et se fit porter en litière dans la maison de sa femme, sur le mont Aventin. Il comptait s’y cacher le reste du jour, et se réfugier ensuite à Terracine vers les cohortes de son frère ; mais l’inconstance de son esprit et la peur, pour qui la situation présente est toujours la pire, le ramenèrent au palais. Il était vide et abandonné ; tout, jusqu’aux derniers de ses esclaves, s’était dispersé ou fuyait sa rencontre. La solitude et le silence des lieux l’épouvante : il essaye les appartements fermés et frissonne de les trouver déserts. Las d’errer misérablement, il s’enfonce dans un réduit ignoble d’où il est arraché par Julius Placidus, tribun d’une cohorte. Ce fut un hideux spectacle de le voir, les mains liées derrière le dos, ses vêtements en pièces, traîné par la ville au milieu de mille outrages, auxquels personne ne mêlait une larme : la honte d’une telle fin fermait les cœurs à la pitié. Un soldat de Germanie se jeta au-devant de lui en frappant avec fureur : était-ce Vitellius qu’il voulait tuer, dans un accès de colère ou pour abréger son humiliation ? ou bien le coup s’adressait-il au tribun ? on l’ignore. Le tribun eut une oreille coupée, et le soldat fut aussitôt massacré. Quant à Vitellius, on le forçait avec la pointe des armes de lever le front et de le présenter à l’insulte, ou de regarder tantôt ses statues renversées, tantôt la tribune aux harangues et le lieu où avait péri Galba. Ils le poussèrent ainsi jusqu’aux Gémonies, où le corps de Sabinus gisait peu auparavant. Une seule parole généreuse fut entendue de sa bouche : il répondit au tribun qui le maltraitait "que cependant il avait été son empereur." Il tomba enfin percé de