Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/584

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bien, de plus grand trésor que des amis vertueux. Marcellus devait se contenter d’avoir poussé Néron à la ruine de tant d’innocents : qu’il jouît de ses salaires et de son impunité, et qu’il abandonnât Vespasien à de meilleurs conseils."

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Marcellus répondait "que l’opinion si vivement combattue ne venait pas de lui, mais du consul désigné ; opinion conforme d’ailleurs aux anciens exemples, qui voulaient que le sort nommât les députations, afin qu’il ne restât aucune place à la brigue ni aux haines. Quel événement autorisait donc l’oubli des usages consacrés ? Et fallait-il qu’un honneur dû au prince tournât à la confusion de quelqu’un ? Toute voix était bonne pour exprimer le respect : ce qu’on devait éviter, c’était que de certaines obstinations ne blessassent un pouvoir dont l’inquiète nouveauté observait tous les visages, épiait toutes les paroles. Il se souvenait dans quel siècle il était né, quelle forme de gouvernement leurs pères et les pères de leurs pères avaient établie. Voulait-on remonter plus haut ? il admirait le passé, s’accommodait au présent. Pour les empereurs, il en souhaitait de bons, il les endurait quels qu’ils fussent. C’était l’arrêt du sénat autant que son discours qui avait accablé Thraséas : la cruauté de Néron se jouait de la conscience publique avec ces images de la justice ; et la faveur d’un tel ami n’avait pas été pour lui-même moins pleine d’alarmes que pour d’autres l’exil. Helvidius pouvait rivaliser de fermeté et de courage avec les Catons et les Brutus ; il n’était, lui, qu’un simple membre de ce sénat qui avait avec lui subi l’esclavage. Il conseillait même à Priscus de ne pas s’élever plus haut que l’empereur, de songer que Vespasien, vieillard honoré du triomphe, père d’enfants dans la force de l’âge, n’était pas homme auquel il dût faire la leçon. Si les mauvais princes veulent un pouvoir sans limites, les bons aiment une liberté mesurée." Ces paroles, jetées de part et d’autre avec beaucoup de véhémence, étaient reçues diversement par les passions contraires. Le parti qui préférait le sort l’emporta : les indifférents même appuyaient l’avis de s’en tenir à l’usage ; et les sénateurs les plus distingués penchaient de ce côté, dans la crainte d’exciter l’envie si le choix tombait sur eux.

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Cette contestation fut suivie d’une autre, Les préteurs de l’épargne (car les deniers publics étaient alors administrés par des préteurs) se plaignirent de la pauvreté de l’État, et demandèrent qu’on modérât les dépenses. Le consul désigné, envisageant grandeur du fardeau et la difficulté du remède,