Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/599

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cette armée qui voulut avoir ma tête, et dont le droit des gens veut que je tire vengeance. Mais vous, Trévires, et vous tous qui traînez servilement vos chaînes, quel prix attendez-vous du sang prodigué tant de fois, si ce n’est un service ingrat, des tributs éternels, les verges, les haches, et tout ce que des maîtres savent inventer de supplices ? Levez les yeux : je n’étais que préfet d’une cohorte ; les Canninéfates et les Bataves ne sont qu’une faible portion de la Gaule ; et ces camps, vastes mais impuissantes forteresses, nous les avons rasés, ou nous les tenons investis par le fer et la faim. Osons le vouloir, et la liberté est à nous ; ou, vaincus, nous serons ce que nous sommes." Après l’avoir ainsi enflammé, il le congédie, en le chargeant toutefois d’une réponse plus pacifique. Montanus revint comme un négociateur qui n’a pas réussi, et se tut sur des secrets qui éclatèrent bientôt.

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Civilis, gardant avec lui une partie des troupes, détache les vieilles cohortes et ce qu’il y avait de plus résolu parmi les Germains, et les envoie contre Vocula, sous la conduite de Julius Maximus et d’un fils de sa sœur, Claudius Victor. Ceux-ci enlèvent en passant le quartier d’une aile de cavalerie, situé à Asciburgium19, et fondent tellement inattendus sur le camp des légions, que, Vocula n’eut le temps ni de haranguer son armée, ni de la déployer. Tout ce qu’il put faire dans le désordre d’une surprise fut d’ordonner qu’on fortifiât le centre en y plaçant les légionnaires. Les alliés se répandirent confusément sur les ailes ; la cavalerie sortit brusquement, et, reçue par un ennemi qui l’attendait en bon ordre, elle tourna bride et se rejeta sur les siens. Ce fut dès lors un carnage, et non un combat. Les cohortes des Nerviens, soit peur, soit trahison, découvrirent nos flancs. L’attaque arriva ainsi jusqu’aux légionnaires ; déjà elle les culbutait jusque dans les retranchements, lorsqu’un renfort imprévu changea la fortune. On avait commandé des cohortes de Vascons20 levées par Galba. Lorsqu’en approchant du camp elles entendirent les cris des combattants, elles chargèrent par derrière l’ennemi occupé devant soi, et répandirent une plus grande terreur qu’on ne l’eût espéré de leur nombre. Pour les uns c’était l’armée de Novésium, pour les autres c’était celle de Mayence, qui arrivaient tout entières. Cette erreur encouragea les Romains ; en se fiant sur les forces d’autrui, ils retrouvèrent les leurs. Ce qu’il y avait parmi les Bataves de plus intrépide en infanterie fut écrasé. Les cavaliers s’échappèrent avec les drapeaux et les prisonniers qu’ils avaient enlevés au commencement de l’action ; le nombre des tués fut de notre côté plus grand et moins regrettable : les Germains perdirent l’élite de leurs guerriers.

19. Aujourd’hui Asburg, entre Nuyss et Santen.
20. Les Vascones (Gascons) habitaient en Espagne, avant d’être transplantés en Gaule et de donner leur nom au pays situé entre les Pyrénées, la Garonne et l’Océan.

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