Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/618

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elle feinte, ou ne put-il contenir leur fureur ? on ne saurait le décider. Le camp pillé, on y mit le feu, et tous ceux qui avaient survécu au combat furent la proie des flammes.

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Alors Civilis quitta cette longue et rousse chevelure, que, d’après un vœu de ces pays barbares, accompli par le massacre des légions, il laissait croître depuis le moment où il avait pris les armes contre les Romains. On ajoute qu’ayant un fils tout jeune encore, il exposa quelques-uns de nos prisonniers aux flèches et aux javelots que lançait dans ses jeux la main de cet enfant. Au reste, il ne s’engagea, ni lui ni aucun de ses Bataves, par le serment de fidélité aux Gaulois ; il se fiait sur les ressources de la Germanie, et, s’il fallait disputer l’empire aux Gaulois, il avait pour lui sa renommée et sa prépondérance. Mummius Lupercus, commandant d’une légion, fut envoyé en présent à Véléda. Cette fille, de la nation des Bructères, jouissait au loin d’une grande autorité, fondée sur une ancienne opinion des Germains, qui attribue le don de prophétie à la plupart des femmes, et, par un progrès naturel à la superstition, arrive à les croire déesses. Véléda vit alors croître son influence, pour avoir prédit les succès des Germains et la ruine des légions. Lupercus fut tué en chemin. Un petit nombre de centurions et de tribuns, nés en Gaule, restèrent comme otages entre les mains de Civilis. Les quartiers des cohortes, de la cavalerie, des légions, furent saccagés et brûlés ; on ne conserva que ceux de Mayence et de Vindonissa32.

32. Vindonissa, quartier de la 21ème légion, était en Helvétie. C’est aujourd’hui Windisch, sur la Reuss, près de sa jonction avec l’Aar.

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La seizième légion avec ses auxiliaires, qui s’étaient soumis comme elle, reçut l’ordre de passer de Novésium dans la colonie de Trèves, et on lui fixa le jour où elle devait être sortie du camp. Tout cet intervalle fut rempli par des pensées diverses. Les lâches tremblaient en songeant au carnage de Vétéra ; les braves se demandaient avec honte et confusion "quelle allait être cette marche, et qui la commanderait. Hélas ! tout serait à la merci de ceux qu’ils avaient faits les maîtres de leur vie et de leur mort." D’autres, sans s’inquiéter du déshonneur, attachaient autour d’eux leur argent et ce qu’ils avaient de plus précieux ; quelques-uns apprêtaient leurs armes et se munissaient de fer comme pour une bataille. Pendant