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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/626

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entra le lendemain dans Trèves. Les soldats brûlaient de détruire cette colonie : "C’était, disaient-ils, la patrie de Classicus, celle de Tutor ; c’était le crime de ce peuple si nos légions avaient été investies et massacrées. Qu’avait donc fait de pareil Crémone, effacée du milieu de l’Italie pour avoir une seule nuit retardé les vainqueurs ? et on laisserait debout, sur les confins de la Germanie, une ville qui faisait trophée des dépouilles de nos armées, du meurtre de nos généraux ! Que le butin fût versé dans le fisc ; ce serait assez pour eux d’allumer les flammes, d’entasser les ruines dans une colonie rebelle ; ainsi serait payé le saccagement d’un si grand nombre de camps." Cérialis, craignant que la renommée ne lui fît le reproche d’avoir éveillé chez les soldats le goût de la licence et de la cruauté, contint leur fureur. Ils obéirent, revenus, par la cessation de la guerre civile, à une modération qu’ils portaient dans la guerre étrangère. Bientôt le déplorable aspect des légions arrivant de chez les Médiomatriques vint saisir les esprits. Une contenance morne, des yeux attachés à la terre, annonçaient des consciences humiliées par le crime. En se réunissant, les deux armées ne donnèrent ni ne rendirent le salut. Les consolations, les encouragements, restaient sans réponse. Les nouveaux venus se cachaient dans leurs tentes, évitaient la lumière ; et c’était moins le péril et la crainte que la honte et l’opprobre qui causaient leur stupeur. Les victorieux même étaient si atterrés qu’ils n’osaient élever la voix ni hasarder de prières : c’était par les larmes et le silence qu’ils demandaient grâce pour leurs compagnons. Enfin Cérialis calma les esprits, en rejetant sur la fatalité tout ce qu’avait produit de maux la discorde des soldats et des chefs ou la perfidie des rebelles. Il les engage à considérer cette journée comme la première de leurs campagnes et de leur serment, assurant que ni l’empereur ni lui ne se souvenaient des fautes passées. Alors ils furent reçus dans le même camp, et défense fut faite dans les chambrées, à tout soldat qui aurait une querelle ou une contestation, de reprocher à un camarade sa rébellion ni sa défaite.

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Cérialis, ayant ensuite convoqué les Trévires et les Lingons, leur parla ainsi : "L’éloquence n’est pas mon art, et j’ai prouvé par l’épée la force du peuple romain. Mais puisque les paroles vous touchent plus que les faits, et que vous jugez les biens et les maux non d’après, leur nature, mais sur les discours des séditieux, j’ai voulu vous exposer quelques vérités