Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/645

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habiles ou inhabiles à nager, tous se saisissaient, s’entraînaient mutuellement et périssaient ensemble. Le carnage ne fut cependant pas proportionné au désordre : les Germains, n’osant dépasser le marais, retournèrent au camp. L’issue de cette journée inspira aux deux chefs, pour des motifs divers, un égal désir de frapper au plus tôt un coup décisif. Civilis voulait poursuivre sa fortune, Cérialis effacer son ignominie ; les Germains étaient fiers de leur succès, les Romains aiguillonnés par la honte. La nuit se passa, du côté des barbares, dans les chants et les clameurs, chez les nôtres, dans la colère et les menaces.

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Le lendemain, au point du jour, Cérialis garnit son front avec la cavalerie et les cohortes auxiliaires ; les légions furent placées en seconde ligne ; le général s’était réservé un corps d’élite pour les besoins imprévus. Civilis, au lieu d’une ligne développée, forma plusieurs coins ; à droite il mit les Bataves et les Gugernes, à gauche et plus près du fleuve les bandes transrhénanes. Ni l’un ni l’autre chef ne harangua son armée ; ils exhortaient les divers corps à mesure qu’ils passaient vis-à-vis. Cérialis rappelait aux siens "la vieille gloire du nom romain, leurs victoires anciennes ou récentes ; les ennemis n’étaient qu’une troupe de perfides, de lâches, de vaincus, qu’il fallait anéantir pour toujours. Il s’agissait bien plus de vengeance que de combat ; naguère moins de Romains s’étaient mesurés contre plus de barbares ; et cependant les Germains, la vraie force de l’ennemi, étaient dispersés : il ne restait que des misérables qui portaient la fuite dans le cœur, les traces du fer sur le dos." Il excitait chaque légion par un aiguillon particulier, appelant ceux de la quatorzième les conquérants de la Bretagne ; disant à la sixième que son ascendant avait fait Galba empereur ; à la seconde, que cette bataille serait pour ses nouveaux étendards et pour son aigle nouvelle une brillante inauguration. Arrivé aux légions de Germanie, il leur montrait de la main ce camp, cette rive qui étaient à elles, et qu’il fallait reconquérir aux dépens du sang ennemi. Ces paroles étaient reçues de tous avec transport : une longue paix avait donné aux uns le désir des combats ; les autres, fatigués de la guerre et n’aspirant qu’à la paix, croyaient voir après ce dernier effort les récompenses et le repos.

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Civilis ne se taisait pas non plus en rangeant ses bataillons. Il prenait à témoin de leur valeur le lieu même du combat, "où les Germains et les Bataves rencontraient à