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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/699

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nous devient obstacle. Autant il est beau et glorieux, si nous poursuivons nos succès, d’avoir franchi de si grandes dis- tances, traversé tant de forêts, passé tant de bras de mer, au- tant la fuite rendrait périlleuse une position aujourd’hui si brillante. Car ici nous n’avons plus la même connaissance du pays, ni la même abondance de vivres ; mais nos bras, mais nos armes nous restent, et nous tiennent lieu de tout. Quant à moi, j’ai depuis longtemps pour maxime que la fuite ne sauve ni l’armée ni le général. Si donc une mort honorable vaut mieux qu’une vie honteuse, le même champ aussi nous offre le salut et l’honneur. Et n’y aurait-il pas encore quelque gloire à succomber aux lieux où finissent la terre et la nature ?

XXXIV. « Si vous aviez devant vous de nouvelles nations, des bataillons inconnus, je chercherais dans d’autres armées des exemples pour vous animer. Mais rappelez-vous vos exploits, interrogez vos yeux. Vous voyez les mêmes hommes qu’un cri terrassa l’an dernier, lorsqu’à la faveur de la nuit ils surprirent une de vos légions. De tous les Bretons ils savent le mieux fuir, et c’est pour cela qu’ils existent encore. Quand des chasseurs s’enfoncent dans les forêts, l’animal courageux ne cède qu’à la force ; l’animal peureux et timide prend la fuite au seul bruit de leurs pas. De même les plus intrépides des Bretons sont tombés depuis longtemps. Il ne reste qu’une foule lâche et craintive ; et si vous les trouvez enfin, ce n’est pas qu’ils vous attendent, c’est qu’ils sont pris les derniers : l’excès de la frayeur les enchaîne à cette place, où une glorieuse et mémorable victoire vous est préparée. Achevez d’un seul coup toutes les expéditions ; couronnez cinquante ans de travaux par une grande journée ; prouvez à la république qu’on ne dut jamais imputer à l’armée ni les lenteurs de la guerre, ni les causes des révoltes. »

XXXV. Agricola parlait encore, et déjà éclatait l’ardeur des soldats. La fin de son discours fut suivie d’un enthousiasme universel, et aussitôt l’on courut aux armes. Pendant qu’ainsi animés ils se précipitent à l’envi, le général établit un centre de bataille d’infanterie auxiliaire, composée de huit mille hommes, couvre les flancs avec trois mille chevaux et place les légions devant les retranchements : disposition qui ajoutait un grand prix à la victoire, celui de ne point coûter de sang ro- main, et qui assurait une ressource si l’on était repoussé. Les Bretons, pour offrir un aspect à la fois magnifique et terrible, s’étaient postés sur les hauteurs. La première ligne était au