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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/706

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l’empire de Trajan, que nous présageaient, dans les épanchements de l’amitié, ses vœux et sa prévoyance, ce fut du moins un grand dédommagement de sa mort prématurée d’échapper à ces derniers temps, où Domitien, ne donnant plus ni trêve ni relâche à sa fureur, sembla vouloir épuiser, dans un seul et long accès, tout le sang de la république.

XLV. Agricola n’a pas vu le palais du sénat assiégé, le conseil public investi de soldats, les meurtres de tant de consulaires massacrés à la fois, la fuite et l’exil de tant de femmes illustres. Carus Métius ne comptait encore qu’une victoire[1], le seul château d’Albe retentissait des avis sanguinaires de Messalinus, et Massa Bébius[2] était déjà lui-même accusé. Bientôt nos propres mains traînèrent Helvidius[3] dans la prison ; bientôt les regards de Mauricus et de Rusticus[4] confondirent notre lâcheté, et Sénécion nous couvrit de son sang innocent. Néron du moins détourna les yeux ; Néron ordonna des crimes et n’en fut pas spectateur : plus misérables sous Domitien, le premier de nos maux était de le voir et d’en être vus, quand tous nos soupirs étaient comptés, quand son vi- sage féroce, couvert de cette rougeur dont il s’armait contre la honte, observait la pâleur de tant d’infortunés. Pour vous, ô Agricola, heureux d’avoir vécu glorieusement et d’avoir à temps quitté la vie, ceux qui eurent part à vos derniers entretiens attestent que vous avez reçu la mort d’un air tranquille et satisfait, comme si vous eussiez voulu, autant qu’il était en vous, léguer l’innocence à l’empereur. Mais moi, mais votre fille, à la perte cruelle d’un père nous joignons le regret de n’avoir pu veiller auprès de votre lit de douleur, ranimer vos forces défaillantes, nous rassasier de votre vue, de vos embrassements du moins nous eussions recueilli des ordres, des paroles, qui resteraient gravés bien avant dans nos âmes.

  1. Il n’avait encore fait périr qu’un innocent. Carus Métius fut un des plus fameux délateurs du temps de Domitien.
  2. Bébius Massa était procurateur en Afrique à l’avènement de Vespasien, et dès lors il était signalé comme un des hommes les plus pernicieux de ce temps. Plus tard, il fut poursuivi comme concussionnaire par la province de Bétique.
  3. Fils de celui qui avait été tué par ordre de Vespasien.
  4. Junius Mauricus fut exilé sous Domitien et rappelé sous Nerva : c’était un homme, dit Pline le Jeune, dont rien ne surpassait la fermeté et la sincérité. Quant à Rusticus, c’est le même Rusticus Arulénus dont la mort est mentionnée ci-dessus, chap. ii.