Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/89

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cer par bonds et déployer leur agilité, ils étaient réduits à se défendre sur place, tandis que le soldat romain, le bouclier pressé contre la poitrine, l’épée ferme au poing, sillonnait de blessures leurs membres gigantesques et leurs visages découverts, et se frayait un passage en les abattant devant lui. Et déjà s’était ralentie l’ardeur d’Arminius, rebuté sans doute par la continuité des périls ou affaibli par sa dernière blessure. Inguiomère lui-même, qui volait de rang en rang, commençait à être abandonné de la fortune plutôt que de son courage ; et Germanicus, ayant ôté son casque pour être mieux reconnu, criait aux siens « de frapper sans relâche ; qu’on n’avait pas besoin de prisonniers ; que la guerre n’aurait de fin que quand la nation serait exterminée. » Sur le soir, il retira du champ de bataille une légion pour préparer le campement ; les autres se rassasièrent jusqu’à la nuit du sang des ennemis ; la cavalerie combattit sans avantage décidé.

XXII. Germanicus après avoir publiquement félicité les vainqueurs, érigea un trophée d’armes avec cette inscription magnifique : « Victorieuse des nations entre le Rhin et l’Elbe, l’armée de Tibère César a consacré ce monument à Mars, à Jupiter, à Auguste. » II n’ajouta rien sur lui-même, soit crainte de l’envie, soit qu’il pensât que le témoignage de la conscience suffit aux belles actions. Il chargea Stertinius de porter la guerre chez les Ampsivariens ; mais ils la prévinrent par la soumission et les prières ; et, en ne se refusant à rien, ils se firent tout pardonner.

XXIII. Cependant l’été s’avançait, et quelques légions furent renvoyées par terre dans leurs quartiers d’hiver. Germanicus fit embarquer le reste sur l’Ems, et regagna l’Océan. D’abord la mer, tranquille sous ces mille vaisseaux, ne retentissait que du bruit de leurs rames, ne cédait qu’à l’impulsion de leurs voiles. Tout à coup, d’un sombre amas de nuages s’échappe une effroyable grêle. Au même instant les vagues tumultueuses, soulevées par tous les vents à la fois, ôtent la vue des objets, empêchent l’action du gouvernail. Le soldat, sans expérience de la mer, s’épouvante ; et, en troublant les matelots ou les aidant à contre-temps, il rend inutile l’art des pilotes. Bientôt tout le ciel et toute la mer n’obéissent plus qu’au souffle du midi, dont la violence, accrue par l’élévation des terres de la Germanie, la profondeur de ses fleuves, les nuées immenses qu’il chasse devant lui, enfin par le voisinage des régions glacées du nord, disperse les vaisseaux, les entraîne