Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/95

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core on voyait souvent les sénateurs, en opinant sur une question, proposer par surcroît tout ce qui leur paraissait utile. Asinius Gallus combattit le projet de Fronton. Selon lui, « les richesses particulières s’étaient accrues en même temps que l’empire ; et ce progrès n’était pas nouveau ; les plus vieilles mœurs s’en étaient ressenties : autre était la fortune des Fabricius, autre celle des Scipions ; tout se proportionnait à l’état de la République : pauvre, elle avait vu ses citoyens logés à l’étroit ; depuis qu’elle était parvenue à ce degré de splendeur, chacun s’était agrandi ; en fait d’esclaves, d’argenterie, d’ameublements, le luxe et l’économie se mesuraient sur la condition du possesseur : si la loi exigeait plus de revenu du sénateur que du chevalier, ce n’était pas que la nature eût mis entre eux aucune différence ; c’était afin qu’à la prééminence des fonctions, des dignités, des rangs, se joignissent tous les moyens de délasser l’esprit et d’entretenir la santé. Car on ne voudrait pas sans doute que ces grands citoyens, à qui sont imposés le plus de soins et de périls, fussent privés de ce qui peut en adoucir le poids et les inquiétudes. » On se rendit sans peine à l’avis de Gallus, faisant, sous des noms honnêtes, l’aveu des vices publics devant des hommes qui les partageaient. Tibère d’ailleurs avait ajouté « que ce n’était pas le temps de réformer les mœurs, qu’au premier signe de décadence elles ne manqueraient pas d’une voix qui vînt à leur secours. »

XXXIV. Cependant L. Piso[1] après s’être plaint des intrigues du Forum, de la corruption des juges, de la cruauté des orateurs, dont les accusations menaçaient toutes les têtes, protesta qu’il allait quitter Rome et ensevelir sa vie dans quelque retraite lointaine et ignorée ; et, en achevant ces mots, il sortait du sénat. Tibère, vivement ému, essaya de le calmer par de douces paroles ; il engagea même les parents de ce sénateur à employer, pour le retenir, leur crédit et leurs prières. Bientôt après, ce même Pison fit preuve d’une indignation non moins courageuse, en appelant en justice Urgulanie, que la faveur d’Augusta mettait au-dessus des lois. Urgulanie, au lieu de comparaître, se fit porter au palais de César, d’où elle bravait Pison, et celui-ci n’en continua pas moins ses poursuites, quoique Augusta se plaignît que c’était l’outrager elle-même et lui manquer de respect. Tibère, en prince citoyen,

  1. Le même dont le procès et la mort sont racontés, au liv. IV, chap. xxi.