Page:Taine - Carnets de voyage, 1897.djvu/141

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sa famille. On reste six ans en moyenne dans un grade, quelquefois dix ans, douze ans dans celui de capitaine. Mon jeune homme est sous-lieutenant depuis cinq ans. Aussi ne rêve-t-il que campagne et guerre en Pologne.

Il y a là beaucoup de misères. Plusieurs ont trente-cinq, trente-huit ans et ne sont que lieutenants. On me raconte que quelques-uns viennent de se quereller avec leur propriétaire ; 25 francs par mois, c’est trop cher pour une chambre ; il ne reste rien pour les plaisirs. Un colonel a net à peu près six mille francs.

Beaucoup de ces officiers sont grossis, raidis ; leur genre de vie ne développe pas la finesse et l’élégance. Ils crient, ils ont des façons rudes, ils deviennent rouges, leur plaisanterie n’est pas aimable. — Je les ai vus deux fois une heure pleine, au café. Ils tuent le temps comme ils peuvent, consomment, jouent aux cartes, regardent devant eux, s’accoudent d’un air ennuyé, parlent de permutations, relisent le journal. — Le mien apprend le hautbois pour se distraire. « Mais, dit-il, je ne saurai jamais respirer. » — Tous les matins ils sont jusqu’à onze heures à