Page:Taine - Carnets de voyage, 1897.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le même chant sonore des cimes bruissantes ; ils ont fait craquer les aiguilles tombées sur le sable ; ils ont admiré cette couleur blanche du sol qui troue à chaque pas le maigre tapis d’herbes altérées ; ils ont frissonné à demi, en écoutant le merveilleux silence ; ils se sont arrêtés devant quelque énorme pin demi-ébranché par la foudre, seul, debout sur le sommet d’un monticule nu. Le pays n’a guère changé depuis leur venue, et cette vue repose du grand potager aligné, régulier, partagé, surveillé par le garde champêtre, que je retrouve partout de Poitiers à Toulouse.

Et pourtant, dans cette espèce de potager, j’avais eu la veille une sensation folle. J’étais seul dans mon wagon, et pendant quatre heures j’avais vu défiler les haies, les arbres, les vignes, les cultures. Les roues roulaient infatigablement, avec un grand bruit uniforme, comme le retentissement prolongé d’un orgue qui ronfle. Toutes les idées mondaines, toutes les choses humaines et sociales se sont encore effacées. Je n’ai plus vu que le soleil et la terre, la terre parée, riante, toute verte, et d’une ver-