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L’ÉCOLE


tout le long du chemin ; impossible au cheval de s’écarter. Au reste, chaque matin, à la même heure, on l’attelait, et chaque soir, à la même heure, on le dételait ; chaque jour, à d’autres heures, on le faisait reposer, on lui donnait sa ration d’avoine et de foin. Il n’a jamais eu besoin de s’en préoccuper, ni de regarder en avant ou par côté ; d’un bout à l’autre de l’année, il n’a eu qu’à tirer, d’après les avertissements de la bride ou les encouragements du fouet, et ses principaux ressorts d’action n’ont été que de deux espèces : d’une part ces avertissements et encouragements plus ou moins durs, d’autre part son indocilité, sa paresse et sa fatigue plus ou moins grandes ; entre les deux, il pouvait opter. Pendant huit ou dix ans, son initiative a été réduite à cela : nul autre emploi de son libre arbitre ; ainsi l’éducation de son libre arbitre est rudimentaire ou nulle.

Là-dessus, notre système suppose qu’elle est faite et parfaite ; nous jetons au jeune homme la bride sur le cou ; nous lui remettons le gouvernement de lui-même. Nous admettons que, par une grâce extraordinaire, l’écolier est tout d’un coup devenu un homme, qu’il est capable de se donner des consignes et de les suivre, qu’il s’est habitué à peser d’avance les conséquences prochaines et lointaines de ses actes, à se les imputer, à s’en croire responsable, que sa conscience, subitement maîtresse, et sa raison, subitement adulte, vont marcher droit à travers les séductions et se redresser vite après les défaillances. En conséquence, on le lâche,