Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 11, 1904.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
349
L’ÉCOLE


éclore les œufs. Plus exactement, c’est une gaveuse mécanique ; là, toute la journée, on les bourre ; par cette alimentation incessante et forcée, on n’accroît pas leur savoir véritable, ni leur vigueur mentale, tout au contraire ; mais on produit en eux l’engraissement superficiel, et, au bout d’un an, de dix-huit mois, ils se présentent au jour dit, avec le volume artificiel et momentané dont ils ont besoin pour ce jour-là, avec le volume, la surface, le luisant et tous les dehors requis, parce que ces dehors sont les seuls que puisse constater et imposer l’examen[1]. Un peu moins brutalement, mais de la même façon et avec le même objet, fonctionnent, dans nos lycées et collèges, tous les enseignements spéciaux et systématiques qui préparent les jeunes gens à l’École de Saint-Cyr, aux Écoles Polytechnique, Navale, Centrale, Normale, Agricole, Commerciale, Forestière ; eux aussi, ces enseignements sont des gaveuses qui opèrent sur l’élève, en vue de l’examen. Pareillement, au-dessus de l’enseignement secondaire, toutes nos écoles spéciales sont des gaveuses publiques[2] ; à côté d’elles, il y en a de privées, annoncées par des réclames dans les journaux et par des affiches sur les murs, pour préparer le jeune homme à la licence en droit au troisième et quatrième

  1. Un vieux professeur, après trente ans d’exercice, me disait en manière de résumé : « La moitié au moins de nos élèves sont impropres à recevoir l’instruction qu’on leur donne ».
  2. Récemment, le directeur d’une de ces écoles disait avec beaucoup de satisfaction et encore plus de naïveté : « Cette école est supérieure à toutes les autres de son espèce en Europe ; car nulle part ailleurs, dans le même nombre d’années, on n’enseigne tout ce que nous y enseignons ».