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LES GOUVERNÉS


ou tour à tour, à la destruction physique ou à la destruction sociale des Français qui ne sont pas ou qui ne sont plus de la secte et du parti.

La première opération consiste à les expulser du territoire. — Dès 1789, par l’émigration forcée, on les a jetés dehors ; livrés, sans défense et sans la permission de se défendre, aux jacqueries de la campagne et aux émeutes de la ville[1], les trois quarts n’ont quitté la France que pour échapper aux brutalités populaires, contre lesquelles la loi et l’administration ne les protégeaient plus. À mesure que la loi et l’administration, en devenant plus jacobines, leur sont devenues plus hostiles, ils sont partis par plus grosses troupes. Après le 10 août et le 2 septembre, ils ont dû fuir en masse ; car désormais, si quelqu’un d’entre eux s’obstinait à rester, c’était avec la chance presque certaine d’aller en prison, pour y vivre dans l’attente du massacre ou de la guillotine. Vers le même temps, aux fugitifs la loi a joint les bannis, tous les ecclésiastiques insermentés, une classe entière, près de 40 000 hommes[2]. On calcule qu’au sortir de la Terreur la liste totale des fugitifs et des bannis contenait plus de 150 000 noms[3]. Il y en aurait eu

  1. Cf. la Révolution, III, livre I, ch. I, et IV, livre III, ch. II et III.
  2. Grégoire, Mémoires, II, 172. « Parmi les émigrés, on compte environ 18 000 ecclésiastiques partis à la première époque. Environ 18 000 autres se sont déportés eux-mêmes, ou ont été déportés après le 2 septembre. »
  3. Ib. « Le chef du bureau des émigrés au ministère de la police compte (9 mai 1805) environ 200 000 individus atteints ou froissés par les lois sur l’émigration. » — Lally-Tollendal, Défense des émigrés (2e partie, 62 et passim). Plusieurs milliers d’individus, inscrits comme émigrés, n’étaient pas sortis de