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LES GOUVERNÉS


Choiseul et d’autres malheureux ayant été jetés par un naufrage sur la côte de Normandie, le droit des gens ne suffit pas pour les protéger ; ils sont traduits devant une commission militaire ; sauvés provisoirement par le cri de la pitié publique, ils restent en prison jusqu’à ce que le premier Consul intervienne entre eux et la loi homicide, et consente, par grâce, à les déporter sur la frontière de Hollande. — S’ils se sont armés contre la République, ils sont retranchés de l’humanité : un pandour, fait prisonnier, est traité en homme ; un émigré, fait prisonnier, est traité en loup ; séance tenante, on le fusille. Parfois même, à son endroit, on se dispense des courtes formalités légales. « Quand j’ai le bonheur d’en attraper, écrit le général Vandamme[1], je ne donne pas à la commission militaire la peine de les juger : leurs procès sont faits sur-le-champ. Mon sabre et mes pistolets font leur affaire. »

La seconde opération consiste à priver les suspects de leur liberté, et dans cette privation il y a plusieurs degrés, car il y a plusieurs moyens de mettre la main sur les personnes. — Tantôt le suspect est « ajourné », c’est-à-dire que l’ordre d’arrestation reste suspendu sur

    qui rentrent pour y vaquer). — Pour se rendre compte de la situation des émigrés et de leurs parents ou amis, il faut lire la loi du 25 brumaire an I (15 novembre 1794), qui renouvelle et généralise les lois antérieures : des enfants de 14 ans, de 10 ans sont atteints ; rien de plus difficile, même si l’on est resté en France, que de prouver qu’on n’a pas émigré.

  1. Moniteur, XVIII, 215 (Lettre de Vandamme, général de brigade, à la Convention, Furnes, 1er brumaire an II). — La lecture de cette lettre est accueillie par « des applaudissements réitérés ».