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LA RÉVOLUTION


dans les affaires et dans la rue, à l’endroit des amis, des parents, des inférieurs, des domestiques et du premier venu, il introduit autant de dignité que de douceur dans la vie humaine ; l’observation délicate de toutes les bienséances devient une habitude, un instinct, une seconde nature, et cette nature surajoutée est plus belle, plus aimable que la première, car le code intérieur, qui gouverne alors chaque détail de l’action et de la parole, prescrit la tenue correcte et le respect de soi-même, aussi bien que les prévenances fines et le respect d’autrui. — À ce mérite, ajoutez la culture de l’esprit. Aucune aristocratie n’a été si curieuse d’idées générales et de beau langage ; même celle-ci l’était trop ; chez elle, les préoccupations littéraires et philosophiques excluaient les autres, positives et pratiques ; elle causait, au lieu d’agir. Mais, dans le cercle borné du raisonnement spéculatif et des pures lettres, elle excellait ; les écrits et la façon d’écrire faisaient l’entretien ordinaire de la bonne compagnie ; toutes les idées des penseurs étaient agitées dans les salons ; c’est d’après le goût des salons que les écrivains formaient leur talent et leur style[1] ; c’est dans les salons que Montesquieu, Voltaire, Rousseau, d’Alembert, les encyclopédistes grands et petits, Beaumarchais, Bernardin de Saint-Pierre, Chamfort, Rivarol cherchaient involontairement leur auditoire, et ils y trouvaient, non seulement des admirateurs et des hôtes, mais des amis, des protecteurs, des patrons.

  1. L’Ancien Régime, tome II, livre IV, ch. i, ii, iii.