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LA RÉVOLUTION


hommes, car ils sont l’âme de leurs services, et l’on ne peut point les remplacer en masse, au pied levé, par des gens de mérite égal. Dans la diplomatie, les finances, la judicature et l’administration, dans le grand négoce et la grande industrie, on ne fabrique pas, du jour au lendemain, la capacité dirigeante et pratique ; les affaires y sont trop vastes et trop compliquées ; il y a trop d’intérêts divers à ménager, trop de contre-coups prochains et lointains à prévoir ; faute de posséder les détails techniques, on saisit mal l’ensemble ; on brusque, on casse, on finit par sabrer, et l’on est obligé d’employer la brutalité systématique pour achever l’œuvre de l’impéritie présomptueuse. Sauf dans la guerre, où l’apprentissage est plus rapide qu’ailleurs, il faut, pour être un bon gouverneur d’hommes et de capitaux, dix ans de pratique, outre dix ans d’éducation préalable ; ajoutez-y, contre les tentations du pouvoir qui sont fortes, la solidité du caractère affermi par l’honneur professionnel et, s’il se peut, par les traditions de famille. — Après avoir gouverné les finances pendant deux ans[1], Cambon ne sait pas encore que les fermiers

    3 conseillers d’État, 5 maîtres des requêtes, 14 évêques et archevêques, 20 présidents et 17 procureurs généraux des parlements et des conseils souverains, 25 maires, prévôts des marchands, capitouls, échevins des grandes villes, les députés des États de Bourgogne, d’Artois, de Bretagne et de Languedoc, trois ministres et deux premiers commis. — Les capacités étaient là, sous la main, pour faire une grande réforme ; mais il n’y avait point de main ferme, forte et dirigeante, la main d’un Richelieu ou d’un Frédéric II.

  1. Mémoires de Gaudin, duc de Gaëte, I, 17.