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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


« hochets qu’on mène les hommes… Les Français ne sont pas changés par dix ans de révolution… — Voyez comme le peuple se prosterne devant les décorations des étrangers : ils en ont été surpris, aussi ne manquent-ils pas de les porter… Les Français n’ont qu’un sentiment, l’honneur : il faut donc donner de l’aliment à ce sentiment-là ; il leur faut des distinctions. » — À très peu de gens, leur mérite suffit ; les hommes ordinaires ne se contentent même pas de l’approbation qu’ils lisent dans les regards d’autrui : elle est trop intermittente, trop réservée, trop muette ; ils ont besoin de la renommée éclatante et bruyante ; ils veulent entendre sonner, en leur présence et autour de leur personne, en leur absence et autour de leur nom, la fanfare continue de l’admiration et du respect. Cela ne leur suffit pas encore : ils veulent que leur mérite ne reste pas dans l’esprit des hommes à l’état vague de grandeur indéterminée, mais que, publiquement, il soit évalué, qu’il ait sa cote, que, sans conteste possible, il jouisse de son rang dans l’échelle, de sa hauteur mesurée et chiffrée, au-dessus des mérites moindres. — À toutes ces exigences de l’amour-propre humain et français, la nouvelle institution donne satisfaction complète. Le 14 juillet 1804[1], jour anniversaire de la prise

    Voilà le secret de la reprise des formes monarchiques, du retour des titres, des croix, des cordons, colifichets innocents, propres à appeler les respects de la multitude, tout en commandant le respect de soi-même. »

  1. La Légion d’honneur, par M. Mazas, passim. (Détails sur les nominations et la cérémonie.) Au lieu du 14 juillet, la date effective fut le 15, qui était un dimanche. Augereau et une soixantaine