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L’ÉGLISE


Russie qu’en Asie Mineure ou en Grèce, quoique les jeûnes et carêmes, tolérables pour les estomacs du Sud, soient malsains pour les tempéraments du Nord. Même ces observances ont pris une importance capitale ; la sève active, qui s’est retirée de la théologie et du clergé, ne coule plus qu’en elles ; dans la religion presque paralysée, elles sont presque le seul organe vivant, aussi fort et parfois plus fort que l’autorité ecclésiastique : au XVIIe siècle, sous le patriarche Nicon, pour des rectifications imperceptibles dans la liturgie, pour une lettre changée dans la traduction russe du nom de Jésus, pour le signe de croix fait avec trois doigts au lieu de deux, des milliers de « vieux croyants » se séparèrent, et aujourd’hui ces dissidents, multipliés par les sectes, sont des millions. Défini par la coutume, tout rite est saint, immuable, et, dès qu’il est exactement accompli, suffisant à lui seul, efficace par lui-même : le pope qui prononce les paroles et fait les gestes n’est qu’une pièce dans un mécanisme, l’un des instruments requis pour une incantation magique ; après qu’il a instrumenté, il rentre dans son néant humain ; il n’est plus qu’un employé dont on a payé le ministère. Et ce ministère n’est pas relevé chez lui par un renoncement extraordinaire et visible, par le célibat perpétuel, par la continence promise et gardée : il est marié[1], père de famille, besogneux, obligé de tondre son troupeau pour subsister,

  1. Sur tous les caractères de la religion et du clergé en Russie, cf. Anatole Leroy-Beaulieu, l’Empire des tsars et les Russes, t. III, en entier.