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L’ÉCOLE


De causeries véritables, avec acquisitions et mutuel échange, il n’en a point eu, sauf avec des camarades : si, comme lui, ils sont tous internes, ils n’ont pu se communiquer que leurs ignorances ; si le pensionnat admet en outre des externes, ceux-ci, contrebandiers actifs ou commissionnaires complaisants, importent et colportent dans la maison les livres prohibés, les journaux scandaleux, les vilenies, les provocations et tout le mauvais air de la rue. — Or, sous ces excitations ou dans ce vide, aux approches de la puberté et de la délivrance, les têtes des captifs travaillent, et nous savons dans quels sens[1], avec quels contresens, à quelle distance de la vérité observable et positive, comment ils se figurent la société, l’homme et la femme, sous quels traits simples et grossiers, avec quelle insuffisance, quelle présomption, quels appétits de serfs libérés et de jeunes barbares, comment, à l’endroit des femmes, leur rêve précoce et trouble devient vite brutal et cynique[2], comment, à l’endroit des hommes, leur pensée sans lest et précipitée devient aisément chimérique et révolutionnaire[3]. La pente est raide du mau-

  1. Bréal, Quelques mots, etc., 308 : « Il ne faut pas s’étonner si nos enfants, une fois sortis du collège, ressemblent à des chevaux échappés, se buttant à toutes les bornes, commettant toutes les sottises. L’âge de raison a été artificiellement retardé pour eux de cinq ou six ans. »
  2. Sur le ton et le tour de la conversation entre élèves à ce sujet, en rhétorique, en seconde et même plus tôt, je ne puis qu’en appeler aux souvenirs du lecteur… — De même, pour un autre danger de l’internat, non moins grave et qu’on évite de mentionner ici.
  3. Bréal, Excursions pédagogiques, 326, 327 (Témoignages de