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L’ANARCHIE SPONTANÉE


laquelle la nécessité sert d’excuse, et qui, sans se croire des brigands, font des actions de brigands.

Mais ici la situation est plus tragique ; car c’est la guerre en pleine paix, la guerre de la multitude brutale et ensauvagée contre l’élite cultivée, aimable, confiante, qui ne s’attendait à rien de pareil, qui ne songe pas même à se défendre et à qui manque toute protection. — Le comte de Courtivron, avec sa famille, était aux eaux de Luxeuil, chez son oncle, l’abbé de Clermont-Tonnerre, vieillard de soixante-dix ans, lorsque, le 10 juillet, cinquante paysans de Fougerolles font irruption et démolissent tout chez un huissier et chez un receveur des aides. Là-dessus, le maire de l’endroit signifie aux nobles et magistrats qui prennent les eaux d’évacuer la ville dans les vingt-quatre heures ; car « il a reçu avis qu’on mettrait le feu aux maisons qu’ils habitent », et il ne veut pas que leur présence expose Luxeuil à ce danger. Le lendemain, la garde, aussi complaisante que le maire, laisse entrer la bande et forcer l’abbaye : renoncements extorqués, archives et caves pillées, vaisselle et effets volés, tout s’y passe à l’ordinaire. La nuit, M. de Courtivron ayant pu fuir avec son oncle, le tocsin sonne, on les poursuit, et, à grand peine, ils se réfugient à Plombières. Mais, par crainte de se compromettre, les bourgeois de Plombières les obligent à repartir ; sur la route, deux cents insurgés menacent de tuer leurs chevaux et de briser leur voiture ; ils ne trouvent de sûreté que hors de France, à Porentruy. Au retour, M. de