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L’ANARCHIE SPONTANÉE


ment. Une insurrection contre la propriété n’a pas de limites. Des abbayes et des châteaux, celle-ci s’étend aux « maisons bourgeoises[1] ». On n’en voulait d’abord qu’aux chartriers ; on en veut maintenant à tout ce qui possède. De riches laboureurs, des curés abandonnent leur paroisse et se sauvent à la ville. Des voyageurs sont rançonnés. En tête des bandes, des voleurs, des contrebandiers, des repris de justice se garnissent les mains. Sur cet exemple, les convoitises s’allument ; dans les domaines bouleversés et désertés, où rien n’indique plus la présence d’un maître, tout semble dévolu au premier occupant. Tel, métayer du voisinage, a emporté du vin et revient le lendemain chercher du foin. Tel château du Dauphiné est démeublé, jusqu’aux gonds des portes, à grand renfort de charrettes. — « C’est la guerre des pauvres contre les riches », dit un député, et, le 3 août, le Comité des rapports déclare à l’Assemblée nationale que « nulle propriété, quelle qu’en soit l’espèce, n’a été épargnée ».

Dans la Franche-Comté, « près de quarante châteaux et maisons seigneuriales pillés » ou brûlés[2] ; de

  1. Désastres du Mâconnais, par Puthod de Maison-Rouge (août 1789). — Ravages du Mâconnais. — Arthur Young, 27 juillet. — Buchez et Roux, IV, 211, 214. — Mercure de France, 12 septembre 1789. Lettre d’un volontaire d’Orléans.) « Le 15 août, quatre-vingt-huit brigands, se disant moissonneurs, se présentent à Bascon, en Beauce, et, le lendemain, à un château voisin, où ils demandent, sous une heure, la tête du fils du seigneur, M. Tassin, qui ne se racheta que par une contribution de 1200 livres et le pillage de ses caves. »
  2. Lettre du comte de Courtivron. — Arthur Young, 31 juillet. — Buchez et Roux, II, 243. — Mercure de France, 15 août 1789