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L’ANARCHIE SPONTANÉE


témoins de pareils spectacles : voilà la résistance. — Pendant ce temps la foule envahit les escaliers, assomme et foule aux pieds les gardes qu’elle rencontre, fait sauter les portes avec des imprécations contre la reine. La reine se sauve, à temps et tout juste, en jupon. Réfugiée auprès du roi avec toute la famille royale, et vainement barricadés dans l’Œil-de-Bœuf dont une porte éclate, ils n’attendaient que la mort, lorsque La Fayette arrive avec ses grenadiers, et sauve ce qui peut encore être sauvé, les vies, rien de plus. Car de la foule entassée dans la cour de Marbre part une clameur : « Le roi à Paris ! » et le roi se soumet à cet ordre. — À présent qu’ils ont dans leurs mains le grand otage, daigneront-ils accepter le second ? Cela est douteux. La reine s’étant approchée du balcon avec son fils et sa fille, un hurlement monte : Point d’enfants ! » on veut l’avoir seule au bout des fusils, et elle le comprend. À cet instant, M. de la Fayette, la couvrant de sa popularité, paraît avec elle sur le balcon et lui baise respectueusement la main. — Dans la foule surexcitée, le revirement est subit ; en cet état de tension nerveuse, l’homme et surtout la femme sautent brusquement d’un extrême à l’autre, et la fureur confine aux larmes. Une portière, compagne de Maillard[1], entend en imagination La Fayette promettre, au nom de la reine, « qu’elle aimera son peuple et lui sera attachée comme Jésus-Christ à son Église ». On s’attendrit, on

  1. Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 82, 170. — Mme Campan, II, 87. — Lavalette, I, 33. — Cf. Bertrand de Moleville, Mémoires.