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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


prunter aux étrangers, ils n’accordent aucune autorité à l’expérience, et, non contents de rejeter les formes qu’elle prescrit, « c’est à peine s’ils suivent une règle quelconque ». Ils laissent le champ libre à l’élan spontané des individus ; toute influence, même celle d’un député, même de leur élu, leur est suspecte ; c’est pourquoi, tous les quinze jours, ils choisissent un président nouveau. — Rien ne les contient ou ne les dirige, ni l’autorité légale d’un code parlementaire, ni l’autorité morale de chefs parlementaires. Ils n’en ont point, ils ne sont pas organisés en partis ; ni d’un côté ni d’un autre on ne trouve de leader reconnu qui choisisse le moment, prépare le débat, rédige la motion, distribue les rôles, lance ou retienne sa troupe. Mirabeau seul serait capable d’obtenir cet ascendant : mais, au début, il est discrédité par la célébrité de ses vices, et, à la fin il est compromis par ses liaisons avec la cour. Nul autre n’est assez éminent pour s’imposer ; il y a trop de talents moyens et trop peu de talents supérieurs. — D’ailleurs les amours-propres sont encore trop entiers pour se subordonner. Chacun de ces législateurs improvisés est arrivé convaincu de son système : pour le plier sous un chef auquel il remettrait sa conscience politique, pour faire de lui ce que devraient être trois députés sur quatre, c’est-à-dire une machine à votes, il faudrait un sentiment du danger, une expérience triste, une résignation forcée qu’il est loin d’avoir[1]. — C’est pourquoi, sauf dans le parti violent, chacun agit de son

  1. Cf. Ferrières, I, 3. Son repentir est touchant.