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LA RÉVOLUTION


dans le désaccord croissant des autorités légales, c’est cette ligue illégale qui va tout renverser.

Quand un général en chef, siégeant avec son état-major et ses conseils, délibère sur un plan de campagne, le premier intérêt public est que la discipline demeure intacte, et que des intrus, soldats ou goujats, ne viennent point jeter le poids de leur turbulence et de leur irréflexion dans la balance que les chefs doivent tenir avec précaution et avec sang-froid. Ç’a été la demande expresse du gouvernement[1] ; elle n’a pas abouti, et, contre l’usurpation persistante de la multitude, il ne lui reste plus à employer que la force. Mais la force elle-même se dérobe sous sa main, et la désobéissance croissante, comme une contagion, après avoir gagné le peuple, se répand dans la troupe. — Des le 23 juin[2], deux compagnies de gardes françaises avaient refusé le service. Consignés aux casernes, le 27, ils violent la consigne, et désormais, « chaque soir, on les voit entrer au Palais-Royal en marchant sur deux rangs ». L’endroit leur est connu ; c’est le rendez-vous général des filles dont ils sont les amants et les parasites[3]. « Tous les patriotes

  1. Déclaration du 23 juin, article 15.
  2. Montjoie, 2e partie, 118. — C. Desmoulins, lettres du 24 juin et jours suivants. — Récit fidèle par M. de Sainte-Fère, ancien officier aux gardes françaises, 9. — Besenval, III, 413. — Buchez et Roux, II, 35. — Souvenirs inédits du chancelier Pasquier.
  3. Peuchet (Encyclopédie méthodique, 1789. citée par Parent-Duchâtelet : « Presque tous les soldats aux gardes appartiennent à cette classe (les souteneurs de filles), et beaucoup même ne s’engagent dans ce corps que pour vivre aux dépens de ces malheureuses filles. »