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LA RÉVOLUTION

Impossible d’avoir les vivres à bas prix sous un pareil régime ; l’anxiété est trop grande, la propriété est trop précaire, le commerce est trop empêché, l’achat, la vente, le départ, l’arrivée et le payement sont trop incertains. Comment emmagasiner et transporter dans une contrée où ni le gouvernement central, ni l’administration locale, ni la garde nationale, ni la troupe ne font leur office, et où toute opération sur les subsistances, même la plus légale, même la plus utile, est subordonnée au caprice de vingt drôles qu’une populace suit ? Le blé demeure en grange, se cache, attend, et ne se glisse qu’à la dérobée vers les mains assez riches pour payer, outre son prix, le prix de son risque. Ainsi refoulé dans un canal étroit, il monte à un taux que la dépréciation des assignats élève encore, et non seulement la cherté se maintient, mais elle croît. — Là-dessus, pour guérir le mal, l’instinct populaire invente un remède qui l’aggrave : désormais le blé ne voyagera plus ; il est séquestré dans le canton où on le récolte. À Laon, « le peuple a juré de mourir plutôt que de laisser enlever ses subsistances ». À Étampes, où la municipalité d’Angers envoie un administrateur de son Hôtel-Dieu pour acheter deux cent cinquante sacs de farine, la commission ne peut être exécutée ; même, pendant plusieurs jours, le délégué n’ose avouer le motif de sa venue ; seulement « il se rend incognito et de nuit chez les différents fariniers de la ville ». Ceux-ci « s’offriraient bien à remplir la fourniture », mais « ils craignent pour leur vie, ils n’osent même pas