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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


ment, en bois, en blé, en vin, en argent[1], et les frais de l’expédition sont à la charge des aristocrates. Sont aristocrates, non seulement les fauteurs des insermentés, par exemple telle vieille demoiselle « très fanatique et qui, depuis quarante ans, emploie tous ses revenus à des actes de philanthropie », « mais encore les personnes aisées, paysans ou messieurs » ; car ils veulent faire « mourir de faim » le pauvre monde, « en retenant invendus dans leurs greniers et dans leurs celliers leur grain et leur vin, et en ne faisant faire que les travaux indispensables, afin d’ôter aux ouvriers de la campagne leurs moyens de subsistance ». Ainsi, plus on les pille, plus on rend service au public. Au dire des insurgés, il s’agit « d’atténuer dans les mains des ennemis de la nation les revenus dont ils jouissent, afin qu’ils ne puissent plus faire passer leurs revenus à Coblentz et autres lieux hors du royaume ».

  1. Exemples de ces convoitises rustiques :

    À Lunel, 4000 paysans et gardes nationaux de village veulent entrer pour pendre les aristocrates ; leurs femmes sont avec eux, menant leurs ânes avec « des corbeilles qu’elles espèrent bien remporter pleines ». (Archives nationales, F7, 3223. Lettre de la municipalité de Lunel, 4 novembre 1791.)

    À Uzès, on a grand peine à se débarrasser des paysans qui sont entrés pour chasser les catholiques royalistes. On a beau « les faire bien boire et bien manger » ; ils s’en vont « de mauvaise humeur, surtout les femmes, qui conduisaient des mulets et des ânes pour emporter le butin, et qui n’avaient pas prévu qu’elles retourneraient les mains vides ». (Dampmartin, I, 195.)

    À propos du siège de Nantes par les Vendéens, une vieille femme me disait : « Oh oui, j’y étais, au siège ; ma sœur et moi, nous avions apporté nos sacs. Nous comptions bien qu’on entrerait tout au moins jusqu’à la rue de la Casserie. » (Rue des bijoutiers et orfèvres. Michelet, V, 211.)